VIVE
LES VACANCES
«Laissons-nous
porter vers la Méditerranée,
ce monde où il est interdit de
se prendre au sérieux: une expérience
vécue au quotidien, son charme
et ses limites, ses petits tracas acceptés
avec un humour qui fait remonter d'autres
bons moments vécus en Bourbonnais.
Retour dans le Sud-ouest: autres moments
épiques, et... vive le tennis de
table!»
«...J'ai lu avec grand plaisir ces
souvenirs de vacances. Ils m'ont rappelé...
ce proverbe qui a cours au pays de Don
Camillo : Chi ride toglie un chiodo alla
bara. (Celui qui rit enlève un
clou à son cercueil.) Grâce
à vous, j'en ai enlevé plusieurs...»
JEAN ANGLADE
Claude
Ferrieux aime l'Italie et ses habitants.
Il n'en a pas pour autant perdu son sens
critique, ce qui fait de Vive les Vacances
un petit livre charmant et drôle."
Renée Roblot, PAESE.
Le texte"...plonge
le lecteur dans un climat, une ambiance
ensoleillée. et parcourir l'Italie
ou revenir à Frâgnes-sur-Allier
(Varennes), c'est la même veine
d'humour réfléchi qui nous
séduit." Guy Kokoreff, Presse
régionale.
"Un
récit plein de verve et d'humour
qui se lit avec beaucoup de plaisir",
Cahiers Bourbonnais.
"Les
portraits, les anecdotes savoureuses comme
l'Italie se succèdent, non sans
une pointe d'amicale ironie.." Le
Journal du Périgord.
...."Papa, conduis-nous au Vésuve."
Les enfants n'ont guère apprécié
mon escapade romaine.
Délaissons
pour une fois l'archéologie. Montons
vers l'air pur, les grands espaces. Allons
saluer ce prince de la nature. Profitons
de l'unanimité familiale qui s'établit
autour de l'axiome : "La maîtresse
en a parlé à l'école."
J'engage
mon deux tonnes cinq dans les lacets dominant
Herculanum...
En fait,
si mon moteur grimpe bravement sous la
canicule, les cahots de la route, les
nids de poule, d'autruche, devrais-je
dire, l'aiguille du thermomètre
en folie vers le rouge, altèrent
mon optimisme. Et une question lancinante
commence à me tourmenter à
chaque coup d'oeil en direction du vide
: les freins parviendront-ils à
contenir le véhicule dans une pente
aussi vertigineuse?
"Arrêtons-nous
pour voir le paysage, ai-je lancé.
-Ça
va le moteur ?
-Impeccable,
me suis-je écrié, en soulevant
le capot qui délivre des effluves
inhabituels. Juste une précaution
comme ça, pour faire comme tout
le monde."
Le golfe
de Naples nettement dessiné s'étale
tout là-bas; ciel et mer se confondent;
la ville apparaît un peu irréelle,
impalpable sous la brume du contre-jour.
Je m'approche
du restaurant Il Vesuvio.
"N'ayez
aucune crainte, vous avez fait le plus
dur. Les pentes sont beaucoup moins fortes
vers le haut", m'annonce, sûr
de lui, le serveur, la lèvre légèrement
condescendante.
Nous
reprenons résolument la route qui
tournicote entre les blocs de lave, dans
un décor toujours plus pierreux.
A peine cinq lacets, et le voyant Danger-moteur
surchauffé m'immobilise sur le
bas-côté.
Je farfouille
sous le capot pour découvrir que
les cosses du ventilateur sont débranchées,
dernier mauvais souvenir des malandrins
qui m'avaient subtilisé et pillé
le véhicule.
Deux
ou trois gestes simples et tout est en
place. Nous terminons l'ascension sans
difficulté.
Lave
marron et rougeâtre de tout côté,
nous sommes au pied du dôme principal,
route barrée par une chaîne.
"Duemila
lire", exige un petit-gros nonchalamment
assis près d'un bar.
Je m'exécute,
malgré une pointe d'humeur. Sinon,
impossible de se garer.
A peine
ai-je mis pied à terre, me voici
la cible d'une ruée de la vente
ambulante.
"Cigarettes
américaines, half-price.
-Montres,
colliers.
-Caméra
vidéo, une affaire."
Quelques
mots répondus en italien, et l'essaim
s'éloigne: "E' paesan, è
paesan", craignant d'en avoir trop
dit.
Il faut
encore traverser la buvette, la vente
de souvenirs, la location de chaussures
de sport, celle de brosses à reluire,
enfin la voie est libre.
"Allez!
On y va." Ma blondinette de six ans
a glissé sa petite main dans la
mienne, le temps n'est plus aux hésitations.
.......................
Un peu moqueur, je dis souvent: "L'Italie
est un pays où personne ne respecte
la loi, à l'exception des étrangers."
Un Italien passe au stop sans s'arrêter,
rien de bien étonnant. Mais qu'un
Suédois s'avise de le faire. C'est
choquant. Coup de sifflet. "Et alors?"
Oui, la loi est bonne pour les étrangers.
Mes amis
italiens me pardonnent difficilement ces
critiques. Je caricature. J'exagère.
Je fais de l'anti-italianisme primaire.
Cependant
Sylvie veille.
Si je
dis: "Dans le camp où je passe
mes vacances, on peut lire sur un écriteau:
La Direction se réserve le droit
de couper le courant s'il n'y a plus d'électricité.
Au moment où mes auditeurs français
commencent à s'esclaffer, elle
s'écrie: "Mais non, ce n'est
pas vrai. Tu exagères."
Pourtant,
il est écrit: La Direction se réserve
le droit de couper l'eau au cas où
elle viendrait à manquer.
Sic.
Authentique.
........
Ce matin
je suis monté à un village
dans la montagne calabraise. On y croise
encore les femmes en longues robes noires
et pans de jupons rouges, fardeaux sur
la tête. J'ai suivi l'unique rue
accessible à mon véhicule
et suis allé faire demi-tour sur
l'esplanade de l'église.
Alors
un blondinet arrogant coiffé d'un
képi m'a interpellé:
"D'où
venez-vous? De France? Je croyais que
la France était un pays où
on respecte les lois, même si en
Italie ce n'est pas le cas.
-Quoi?
Qu'y a-t-il? Où est le problème?
-Vous
n'avez pas le droit de pénétrer
sur la place de l'église.
-Il faut
bien que je tourne. Je ne peux pas retraverser
le village à reculons, ai-je affirmé
très calmement.
-C'est
interdit!
-Je ne
vois aucun panneau d'interdiction.
-Il y
a des barrières amovibles, reprend
le jeune coq d'un ton sentencieux.
-Qui
en ce moment n'y sont pas, ai-je dit en
souriant, et avisant l'autre qui mettait
la main à sa poche, j'ai corrigé:
Excusez-moi!
-Vous
n'aviez qu'à demander la permission,
ajoute-t-il plus conciliant."
A ce
moment arrive une énorme bétonnière
pour tourner elle aussi, place de l'église
-forcément- qui rugit de toute
la joie claironnante de ses trompes.
"Alors,
Monsieur le Français, clame le
chauffeur dans notre langue, on bloque
la route?
Et moi
je dis au jeune flic:
"Il
a le droit, lui? Il a demandé la
permission?
-Circulez,
circulez, vous voyez bien que vous encombrez!"
........
Au retour des vacances une nouvelle possibilité
d'évasion se présente: les
compétitions de tennis de table.
"Enfoiré! Putain-con, t'en
as mis un temps pour arriver.
-Vous
m'aviez dit : "En tête de train",
et vous êtes dans le dernier wagon.
-Putain!
Ça te fait du bien de marcher.
Couillon! Ça évite les enkylosements
du 3e âge. Enfoiré!"
Un samedi
matin, dès les premières
heures, je retrouve dans le train de passage
à Soissebornes l'équipe
des J.A.V.R., les jeunes athlètes
de la ville de Rivedeau.
Moi, j'ai
trente-neuf ans! Une fois pour toutes:
39 ans! Qu'ils se le tiennent pour dit
ces gamins. Couillon! Putain! Enfoiré!
Et s'ils me trouvent trop vieux, qu'ils
cherchent un plus jeune pour me remplacer.
En attendant, ils sont bien obligés
de faire avec moi.
La deuxième
chose qu'ils vont me dire, c'est:
"Toi,
tu en as du blé! Et ça tombe
tranquille tous les mois."
Eux, ils
n'en n'ont pas. Ils rêvassent à
Tigana, Giresse, 30 briques par mois...
et se contentent d'entraîner les
jeunes à 50 sacs de l'heure.
"Combien
tu te fais par mois?
-Oh, je
ne sais pas avec toutes les heures que
je donne... des heures à 50 sacs
au club, des heures à 100 sacs
aux adultes, tu penses, j'ai pas compté.
-Dis,
président, tu pourrais les passer
à 60 sacs. Et puis faudra me trouver
un boulot, y a plein de clubs qui me font
des offres. Putain-con, je suis très
demandé."
A peine
avons-nous dépassé les limites
septentrionales de l'Aquitaine, voici
que Rivedeau vibre dans les conversations.
Au fur et à mesure que montent
dans la voiture, Charentais, Poitevins,
Tourangeaux, Orléanais, résonne
l'aque-cennt, s'enfle la pronon-cia-tion
rive-de-laize, les têtes se retournent,
témoignant une indulgence souriante
à l'exubérance de ces jeunes
Méridionaux.
Domi
raconte à qui veut entendre ses
exploits de la semaine passée.
Son adversaire n'a rien vu. Il lui a mis
une de ces caisses... à renoncer
pour toujours à ce sport.
Michou,
joueur élégant mais peu
motivé, plongé pendant des
heures dans Paris-turf, fait le voyage
uniquement parce que le club éponge
ses coups durs. Ah, ces bon dieu de canassons!
Pourtant, il gagne, sans arrêt.
Mais comme il joue 10 000 F pour un rapport
de 11 000, quand ça tourne mal,
aïe, aïe, aïe!
Boubou,
lui, a monté un commerce. Pendant
les déplacements, c'est sa femme
qui tient le magasin. Il compte, il recompte:
4 armoires à 2000 sacs, 8000 sacs.
Si elle se défend bien, elle peut
faire 10000 sacs. Comme je les avais achetées
500 sacs pièce, ça fait...
Dès le prochain arrêt, il
va filer vers un taxiphone pour savoir
où en sont les ventes.
Marco
est homme à femmes. Les expressions
"Jolie gueule, belle dégaine"
, nichent dans sa bouche. Samedi dernier
en boîte, il s'en est dragué
deux à la fois. Aucune ne lui résiste.
Nul ne l'ignore, désormais dans
le train corail.
Mi-mi,
c'est le chef. L'intellectuel. Il déteste
la banalité des conversations durant
le voyage, écarte les sujets sportifs
d'un revers de main, élève
le débat, pose des colles, juge
le niveau, s'étonne lorsque l'on
sait. Il ignore et dédaigne les
questions telles que: "A quelle heure
arrive-t-on? Comment traverserons-nous
Paris?"
Récemment,
il a poussé l'équipe dans
le premier train venu: "Comment se
fait-il qu'on reparte dans ce sens?"
Une heure plus tard, re-débarquement
peu glorieux à Nantes. Il a fallu
3 H pour revenir au Mans et rejoindre
St Hilaire du Harcouët.
Mais
qu'à cela ne tienne, il demeure
toujours aussi jaloux de ses prérogatives
de capitaine et mystérieux quant
à l'organisation du périple;
sans doute ne sait-il pas lui-même.
Arrivé à Paris, il s'aperçoit
régulièrement qu'il ignore
l'endroit où nous jouons. Alors
il téléphone à sa
femme à Rivedeau.
Quant
à moi, ô mon dieu, nul n'est
parfait, je ne crains pas de passer, moi
non plus, un petit coup de fil à
la maison comme ça sans vraie raison,
mais au moins c'est plus franc, sans chercher
les mauvais prétextes.
Arrivés
à Paris, je propose timidement:"On
se prend un steak-frites rapide?"
Ah non,
pas question. Michou veut une choucroute
bien garnie, Boubou une entrecôte,
Marco des fruits de mer, Domi un cassoulet
toulousain, pas des boîtes, hein!
et Mimi à l'humeur vagabonde se
ferait bien un petit couscous.
Et le
match à 2 H? Moi qui ( à
mon âge ), ne dois presque rien
absorber avant un effort sportif, je vais
encore les regarder. Je mangerai à
35F, eux à 90, et ce soir, lorsque
j'aurai l'estomac dans les talons, ils
me diront: "Y a plus de blé,
il faut que tu paies de ta poche".
Cherchons
encore un téléphone pour
que Michou calme ses nerfs de cheval,
quant à notre antiquaire, si sa
femme ne lui a pas vendu une petite armoire,
il lui sera impossible de jouer l'esprit
détendu. Comme elle lui annonce
toujours des bénéfices somptuaires,
le doute se met à ronger l'esprit
de Boubou: n'embellit-elle pas le tableau
pour l'amadouer? Et si elle a tout vendu
ce matin, que va-t-elle faire du reste
de son temps?
Nous
voici enfin à la salle à
2H moins cinq. Je joue ma première
rencontre après trois minutes d'échauffement,
je prends une râclée mémorable.
Après, ils me disent: "C'est
drôle, tu es moins bon en déplacement".
"On
va au pèpe-chaud.
-Quel
con ce Boubou! On dit le peep-show. Je
parie qu'il ne sait même pas ce
que c'est. Explique-lui!"
Depuis
qu'il sait, Boubou ne cesse de parler
du peep-show, avé l'accent anglais
s'il vous plaît, comme s'il y était
allé. Mais ce soir il sera encore
au lit de bonne heure. Faut être
en forme pour demain.
Pourtant,
la dernière fois, nous jouions
dans la banlieue lilloise, il m'a traîné
de l'autre côté de la frontière
et mis en demeure de goûter à
toutes les bières belges. Il a
été malade comme un chien.
Je ne vous parle pas du résultat
de son match, le lendemain. ( J'ai oublié
le mien.)
Ces défaites
à répétition, les
rumeurs de peep-show et de bière
belge ont alarmé le comité
directeur des J.A.V.R.: il serait question
pour le prochain déplacement d'offrir
un billet à chaque joueur pour
sa femme et une chambre à part
pour ces dames.
Ça
risque d'être pire encore, elles
semblent si délurées!
Pour moi,
les lundis, depuis la chaire professorale,
c'est l'enfer, je vous assure, allez donner
l'exemple d'un langage châtié
alors que vous avez l'oreille et la bouche
pâteuses des mots crus entendus
tout au long du voyage.
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