Ils engagent
le lecteur sur un itinéraire parsemé
de découvertes pittoresques.
Voici
l'Istrie dont l'histoire, fertile en bouleversements
et pertes d'identité, a marqué
les hommes, de génération
en génération.
Contrée
merveilleusement belle, de mer et montagne,
elle suggère d'autres régions
proches de nous: les Pyrénées,
riches en souvenir et légendes,
la Bretagne, peuplée d'hommes au
tempérament proverbial, ou plus
lointaines, comme l'Italie du Sud et ses
bandits d'antan dont les méfaits
trouvent, hélas, un prolongement
contemporain, ou encore, la Grèce,
terre d'antiques traditions.
A l'heure
du retour, le Bourbonnais, comme toujours,
offre ses souvenirs, ses paysages paisibles,
rivière et collines: berges vivantes,
ruines suggestives...
C'est
au coin du feu, loin de l'agitation touristique,
dans un cadre d'un autre âge, qu'un
berger pyrénéen confie le
meilleur de ses souvenirs à un
groupe de promeneurs et incite le narrateur
à délivrer ses secrets,
à partir à la recherche
des vraies valeurs du monde contemporain,
qui toujours, s'enracinent dans le passé.
Les
extraits :
DECOUVERTES
PYRENEENNES
Sans doute
à jamais marqué par mon
séjour corse, je recherche la raideur,
la densité des Pyrénées.
Mais comme je n'ai guère le pied
montagnard et que je me satisfais d'entrevoir
les foules avides de pentes enneigées,
un heureux compromis s'offre à
moi dans la vallée de la Garonne.
Longer le fleuve introduit aisément
en Espagne, tandis que routes et sentiers
offrent leurs multiples possibilités
de magnifiques randonnées pédestres.
Là,
perdus dans les escarpements situés
à l'est du fleuve, se trouvent
deux jolis villages, Piégut-dessous
et Piégut-dessus. Chacun s'agrémente
d'une chapelle, visible de loin, dressée
au bord du précipice la première.
Bien entourée de ses maisons au
coeur de la montagne, la seconde.
L'étroite
route qui nous hisse droit et sec, longe
bois et broussailles. De maigres terrasses
cultivées retiennent un instant
l'attention.
Dès
les premières maisons, le ton est
donné. Grosses pierres grises apparentes,
porte de grange en bois vermoulu, toiture
affaissée, sans complexes elles
se proclament à vendre sur panonceau
flambant neuf. Il suffit de lever les
yeux pour comprendre : vélux du
dernier cri, fenestrelles double isolation,
portes au verni récent, effacent
joliment la vétusté des
maisonnettes. Plusieurs véhicules
aux immatriculations lointaines complètent
l'impression. Nous accédons au
royaume des résidences secondaires.
Et tant mieux si le village en revit,
même si plusieurs pots d'échappement
ont passagèrement assombri notre
humeur. La route décrit une ample
courbe parmi les maisons ; quelqu'un à
une fenêtre nous salue ; nous voici
parvenus au deuxième anneau de
la spirale, près de la chapelle
qui surplombe l'entrée du village
et domine la vallée. Le lacet s'étale,
un instant flanqué d'un muret plat
comme un banc, reprend son souffle avant
de s'élancer à l'assaut
de la montagne. Au pied des derniers chalets,
aura notre préférence le
chemin piétonnier aux allures de
voie romaine, dont le dallage méthodique,
avant de se diluer sous les herbes, rappelle
que l'homme s'est investi ici, en souffrance
et labeur.
Nous sommes
en février, mais la pente que nous
gravissons, à l'abri des vents,
exposée au sud-ouest, recueille
des rayons printaniers. L'effort de l'ascension
nous incite et nous voici en bras de chemise.
Les cimes les plus hautes déplient
leurs blanches étendues en une
euphorie de lumière. ...................
TITOU
ET CANAZETTE EN CALABRE
Le décor.
Famille 2 + 2 (Titou, Canazette et parents),
plongée, la tête pleine de
soleil et de rêve au fond de l'étuve
calabraise. Maisonnette sommaire et fragile,
posée au pied des Apennins sur
une large et pâle terrasse de sable
gris. En pente nette vers les bleus profonds
de la mer, s'étalent de brusques
galets lumineux.
Deux bars-terrasses,
refuges ombragés des adultes aux
heures de canicule, gouffres électroniques
à pièces de monnaie, propres
à tenir la marmaille tranquille,
étalent leur concurrence sonore.
Entouré des touffes vertes de ses
eucalyptus, le premier ; seul sous le
soleil, berger d'un blanc troupeau de
coques retournées sur le sable,
le second.
Les journées
s'écoulent joyeuses, apparemment
insouciantes, en va-et-vient continuels
entre plage, bars et restaurants. Mais
le regard s'en va irrésistiblement
vers les montagnes arides, parfois brûlées.
Plusieurs pentes reboisées se parsèment
géométriquement de têtes
vertes d'oliviers.
Droite,
austère, solidement assise sur
un rocher, défiant les siècles
par son intégrité, une tour
carrée surplombe la cassure d'une
vallée. Au-delà du précipice
se dresse, plus ancienne, ronde, démantelée
par le coup d'épée d'un
géant fou de rage, édifiée
en des temps reculés pour protéger
les populations paysannes des incursions
barbaresques, la tour fendue.
Vu d'en
bas, son profil meurtri ressemble à
un défi, à un avertissement.
Quel guetteur équivoque se cache-t-il
à l'ombre de ses pans décharnés,
épiant sa proie, prêt à
la ravir et à la transporter à
tire d'aile dans le sanctuaire montagneux
du crime organisé ?
Le matin,
vrombit au-dessus des têtes l'hélicoptère
sombre des Carabinieri. Plus tard s'approche
celui de la Finanza. Son grondement tout
à coup s'intensifie, s'immobilise
et menace ; puis il se dilue dans la boucle
qui cerne les coques suspectes ; le voici
qui resurgit en mitrailleuse à
décibels ( qu'a-t-on transporté
à la faveur des ténèbres?
que disent les empreintes sur le sable
? ) Il refait le tour, enfin s'éloigne,
bourdonne, ronronne, et on se dit que
peut-être il n'avait aperçu
qu'une jolie baigneuse en bikini.
Le soir,
le village-vacances ferme ses grilles.
Un vigile se poste à l'entrée
principale. Toute la nuit son képi,
son étui à revolver observent
les allées et venues incessantes
d'une foule piétonne en quête
de loisirs, frôlées par les
arabesques provocantes des bicyclettes
enfantines. Le sourire du gardien se veut
rassurant, mais en cas de danger pourra-t-il
pointer son arme sans risque pour un vacancier
insouciant ?
La maison
de Titou et Canazette qui se cache dans
les eucalyptus tout au bout du village,
là où les grilles rectilignes
deviennent grillages, boursouflure, hernie
en direction de la mer, jouit pour seule
protection, des chansonnettes diffusées
par les bars. Ce quartier apparemment
tranquille, peu équipé,
attire dès la tombée de
la nuit les couples âgés
qui viennent y déguster leur gelato
et admirer les illuminations lointaines
de la côte.
Or, à
l'heure de la promenade habituelle, plus
de Canazette. Chambre vide. Absence suspecte.
Immédiatement mais sans panique,
on part dans trois directions à
sa recherche....................
MORGAN
Morgan
connut tous les bonheurs d'une petite
enfance heureuse. Adoré, choyé
par une mère qui se délecta
à l'élever avec le même
plaisir insouciant manifesté quinze
ans plus tôt pour jouer à
la poupée, de la nature il avait
reçu tous les dons. Son excellence
scolaire concernait aussi bien le corps
que l'esprit, et s'épanouissait
indifféremment dans les disciplines
traditionnelles d'éveil, artistiques
ou sportives. L'enfant affichait un naturel
à la fois docile et entreprenant,
participait sans récriminer aux
activités imposées par ses
parents, s'y investissait avec conviction
et application même lorsqu'elles
requéraient un travail rigoureux
et un effort constant. L'ouverture de
son esprit était si remarquable
qu'il ne savait exprimer spontanément
un goût ou une préférence,
apportant en famille son aide ou sa simple
présence attentive pour les tâches
ingrates, ménagères et de
jardinage, tout autant que pour les sorties
d'agrément.
Morgan
accompagnait régulièrement
son père dans les cercles de billard,
non plus maintenant qu'il allait sur ses
douze ans, spectateur assidu et indéfectible,
mais comme pratiquant qui manifestait
déjà une remarquable maîtrise
de soi secondée d'une adresse hors
du commun. Alentour, on commentait : «Ça,
c'est de la graine de champion.»
Et le petit n'en tirait pas de vanité
apparente, comme l'auraient fait d'autres
garçons de son âge. Il entrait,
au contraire, en lui-même, s'enfermait
dans une sorte de quête d'absolu
avec une telle intensité que son
père, déconcerté
et perplexe, interrompait prématurément
l'exercice. « Morgan m'inquiète,
disait-il parfois, il est trop sérieux,
il ne sait pas se divertir. Le jeu semble
être une souffrance pour lui. »
L'enfant
s'enfermait dans sa chambre, secrètement.
« Morgan est-il là ? »
demandait-on à chaque instant.
Même si la porte restait ouverte,
aucun bruissement, pas le moindre frémissement
qui décelât sa présence.
On le trouvait assis sur son lit, absorbé
par une lecture. Ensuite il remplissait
une grille de mots croisés, feuilletait
un magazine, dévorait une bande
dessinée ou passait au salon suivre
avec passion une fiction télévisée.
Inutile de s'inquiéter pour son
travail scolaire : les tâches étaient
remplies, méticuleusement, toujours.
Le petit
paraissait promis au plus bel avenir quand,
brusquement, tout chavira. Le couple parental
qui, jusque là avait mené
une vie équilibrée, se brisait,
sombrait dans la désunion et déchirait
inconsciemment le voile d'impassibilité,
en apparence inaliénable, que le
petit tirait devant lui.
Séparation
brutale. Vie de famille empruntée
sous l'égide du nouveau compagnon
de sa mère, plus jeune et perçu
comme incapable, sans doute davantage
par insouciance que réelle indifférence,
de rendre acceptable sa présence.
L'âge
de la puberté, les années
de l'adolescence passèrent en cet
état de crise larvée. Morgan
découvrait avec son père
que l'on ne devient pas champion par son
talent seulement. Il apprit la haine,
le mental de tueur, les ficelles d'anti-jeu
qui perturbent, ébranlent et permettent
d'insérer le coin de la déstabilisation
psychologique chez l'adversaire. La fréquentation
permanente des milieux de la compétition,
la rigueur de l'entraînement suivi,
les succès accompagnés de
l'ascension fulgurante dans la hiérarchie,
finirent par influencer son caractère.
Le rythme infernal auquel il était
soumis détruisait tout aspect ludique,
réduisait à bien peu le
plaisir de pratiquer. Les compensations
d'amour-propre, la fierté d'être
le meilleur, l'orgueil de dominer les
autres transformèrent Morgan en
un petit être égocentrique
et cynique. Mais toujours il se réfugiait
dans ses livres, ses seuls vrais plaisirs
et s'évadait de plus en plus dans
la fiction. Un été son père
voulut l'entraîner en Espagne: «
Non, s'écria l'adolescent, à
quoi bon ? L'Espagne, je la vois tous
les jours grâce à la télévision
par satellite, du nord au sud en quelques
instants. Je suis au coeur de l'actualité
en permanence, cent fois mieux que toi
et tes voyages ! »
A 18 ans,
Morgan décida que dorénavant,
il vivrait pour lui-même, exclusivement
pour lui-même. Il déploierait
toute son énergie
BILLI
1576
.............Le
Capitaine-Seigneur, depuis plusieurs jours,
avait réoccupé les deux
pièces exiguës, empilées
l'une sur l'autre, constituant son logement
primitif dans la tour Est du donjon. De
son perchoir, il considérait avec
nostalgie la confortable maison paisiblement
habitée les mois précédents
au pied du rempart, dominant la seconde
enceinte, ouverte au sud et lumineuse.
Il avait fait enflammer le plus de bûches
possible pour combattre la froidure incrustée
dans les murs si épais qu'aucun
rayon du soleil n'avait de prise sur eux.
Unique soulagement : son épouse
et ses deux filles avaient trouvé
refuge auprès d'un parent dans
la forteresse de Murat que l'on disait
sure.
Pourquoi
précisément Billy attirait-il
les convoitises du Prince de Condé
? Qu'avait-on à gagner en le combattant
lui, capitaine de petite noblesse, et
ses quatre-vingts hommes devenus par le
jeu des renforts un équipage défensif
de cent cinquante soldats ? Billy était-il
la première forteresse sur la route
de l'Ouest? La plus belle ?
Les cavaliers-informateurs
faisaient état d'une troupe gigantesque,
équipée d'une artillerie
redoutable. Que valent les pierres amoncelées
une à une, des siècles durant,
par la simple main de l'homme, contre
le feu ravageur des canons ?
Les Reîtres.
Ce simple nom répandait l'effroi
parmi les hommes. Allait-on devoir combattre
à un contre cent la horde germanique
? Fallait-il livrer la place ? Et mourir
écartelé ou pendu, félon
et déshonoré ? En fait,
chaque soldat connaissait son destin :
mourir. Mais les armes à la main.
En défendant femmes et enfants
n'avait-on pas droit à une clémence
dans l'au-delà ?
Un espoir
cependant au fond de tous les coeurs :
le temps pouvait changer, le froid tomberait
d'un coup sur la place, un vent glacial
balaierait le Val d'Allier et personne
hors les murs ne pourrait résister
à ses morsures.
Valmy,
deux siècles avant l'heure.
Le Capitaine-Seigneur
s'était assis longuement ce jour-là
sur le petit banc de pierre accolé
à l'embrasure de sa fenêtre.
Il avait vu le jour se lever derrière
lui et le clair ruban de l'Allier déroulé
à ses pieds. Il comptait mentalement
ses tours, ses meurtrières, ses
soldats, les angles de tir propices aux
archers, les orifices astucieusement calculés
pour la protection d'un pont-levis suspendu
: partout la stratégie défensive
exprimée à la perfection.
une forteresse imprenable par l'homme
! Néanmoins une sourde anxiété
oppressait le seigneur : cette fois l'ennemi
arrivait de l'opposé, du Nord-est.
Sans doute ne lancerait-il pas ses troupes
à l'assaut des remparts, et faudrait-il
résister au siège et aux
boulets. Tout avait été
conçu pour protéger la frontière
du Duché de Bourbonnais contre
d'éventuelles incursions venues
du Sud, de l'Auvergne qui s'étendait
jusqu'à Cusset. Billy, verrou sur
l'Allier, toutes fenêtres tournées
dans la même direction vers un unique
ennemi. Même celles de la tour de
guet. Le Capitaine ne pouvait monter sans
cesse au sommet de celle-ci sans montrer
une excessive fébrilité
aux hommes en dessous. Restait l'escalier
des latrines, suspendues en échauguette
sur le vide: cou étiré,
pointe des pieds, le regard volait dans
la bonne direction.
Tôt
le matin, il avait mandé quérir
le prêtre. Discrètement l'abbé
Isidore avait quitté la Maison
Seigneuriale, s'était glissé
dans la souterrain menant au donjon :
cela évitait les manoeuvres de
pont-levis. Il s'en était venu
dans l'étroite chapelle de la première
tour. La lueur des cierges rencontrait
en contrepoint celle multicolore du vitrail
qui s'animait des clartés d'une
aube déjà lumineuse. Le
seigneur, exceptionnellement, et sous
le seul regard du prêtre, s'était
agenouillé sur le prie-Dieu habituellement
utilisé par son épouse ;
il s'était recueilli, avait sans
doute prié, puis demandé
à l'abbé une messe très
brève et une confession-communion.
Ensuite il était remonté
au nid d'aigle ceindre son armure. Inutile
pour le moment, mais comme il avait donné
l'ordre aux chevaliers et aux archers
de se tenir prêts...
Le tocsin,
les cris et l'activité de fourmilière
par lui déclenchés n'avaient
pas dix minutes qu'arrivait déjà
la sentinelle postée sur le haut
de la colline. Ce jeune soldat avait dévalé
la pente au risque de se rompre les os,
effrayé de ce qu'il avait vu, arrivant
juste à temps pour entendre la
herse de la porte Chabotin s'abattre derrière
lui.
Il fut
immédiatement conduit en présence
du seigneur qui le fulmina de questions,
le menaçant du gibet s'il ne s'exprimait
pas clairement. On comprit dans les bribes
de lucidité que laissait son souffle
court et ses joues cramoisies proches
d'un collapsus marathonien, qu'une colonne
très large approchait, déjà
rangée en ordre de bataille. Des
officiers chevauchaient, chamarrés,
à sa tête. Elle s'étendait
à perte de vue sur l'horizon, «
au moins jusqu'à La Pallice »,
lui avait-on dit.
«
Butor ignorant ! , cria le seigneur, main
gantée de fer levée prête
à frapper, je t'assomme si tu me
dis que du haut de la colline on voit
La Pallice !
- Pitié
Messire. La colonne remonte derrière
les collines jusqu'à se confondre
avec le ciel. »
Le capitaine
grimpa au sommet de la tour de guet. .......................
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