Illustrations
de Sandrine Laurent
Aperçu :
Lapalisse, Saint-Germain-des-Fossés,
Ivoy-le-Pré, Breux, Varennes-sur-Allier
    
"
Bourbonnais. Commissaire Bourbonnais.
"
" Avec trois r ", avait murmuré
le gardien d'accueil à l'oreille
de sa collègue.
" Je suis né à Varennes-sur-Allier
; derrière l'école ; rue
Claude Labonde, pour ceux qui connaissent.
Mon père a émigré
au Québec quand j'étais
tout petit. "
Puis, observant les regards narquois à
peine voilés de ses subordonnés,
il avait ajouté : " Cela s'entend,
il faudra vous y faire. "
Un accent à couper au couteau.
Mais le personnel n'avait guère
eu le temps de ricaner. À peine
avait-on levé son verre en plastique
rempli d'un pétillant peu alcoolisé
pour l'installation du nouveau commissaire,
que son téléphone avait
sonné : " Excusez-moi ! "
avait-il simplement dit, en se retirant
de la salle privée du personnel,
et on avait entendu sa voix de stentor
claironner des " Oui, Monsieur le
Procureur ", répétés.
" Il me plaît, ce commissaire
! " s'était exclamé
Lacaze, un inspecteur, dont les intonations
à la fois chantantes et rocailleuses
dévoilaient les origines périgourdines.
" La complicité des hommes
de terroir ", avait ironisé
Maryse, la principale, qui pouvait tout
se permettre depuis qu'elle avait tiré
son équipier d'un mauvais pas.
/...
Vichy
:
Avenue
Victoria. Immeuble historique. "
Début XIXe ", avait répondu
Maryse Ancelin au commissaire à
peine arrivé, un peu hésitant
loin des gratte-ciels québécois.
Toit d'ardoise, façade ouvragée
flanquée de deux tourelles imitation
Renaissance. Bourbonnais avait plaisanté
en roulant deux r monstrueux : "
Il faudra prévoir des gravillons
chaleureux crissant d'aise sous les semelles
de cuir, et un double escalier pour parfaire
l'accueil. "
Le commissaire présidait son débriefing
matinal, animé d'une certaine emphase./...
Le
commissaire revint fureter dans Varennes.
À peine plus curieux qu'un simple
touriste. Il ne se présenta pas
directement rue de La Rochelle. Il s'en
vint au bureau de tabac et prit un journal.
Malgré la bonne volonté
du buraliste, les réponses à
ses questions survinrent par bribes, au
rythme presque incessant du passage des
clients. Il apprit cependant la disparition
de l'ancienne librairie-papeterie de la
grand-rue, au profit d'une autre située
un peu plus loin sur le trottoir de la
rue Antoine Fayard. C'est là qu'il
décida de s'impliquer lorsqu'il
sut qu'elle avait été ouverte
par un rapatrié ayant même
fait des études universitaires.
Bourbonnais ne fut pas déçu.
Dès la rue, un foisonnement rappelant
le bazar oriental, par ses présentoirs
garnis de cartes postales, livres, opuscules,
babioles scintillant sous leur enveloppe
transparente, jusqu'à l'extrême
limite du trottoir. /...
Lapalisse
:
Jouant
son rôle de touriste, elle s'alla
garer dans le quartier haut de la petite
cité, sur l'esplanade contiguë
au château. Elle fut favorisée
par la chance. À l'entrée
du parc, sous un lumignon de la porte
monumentale, un homme prenait le frais.
Visage arrondi, lunettes joviales, sacoche
tickets-caisse sur le ventre. Visiblement,
il attendait la sortie de la dernière
visite guidée du château.
Commercial, il prit les devants : C'est
trop tard pour voir l'intérieur,
ma petite dame. Il faudra revenir. Je
peux juste vous laisser jeter un il
au parc. Oh ! je suis de Vichy
tenta
Maryse. Et moi de Lapalisse. De naissance,
déclara fièrement le bonhomme./...
Saint-Germain-des-Fossés
Le
deuxième gardien était originaire
de Saint-Germain-des-Fossés. Lacaze
remonta à son volant en direction
de Rhue. La route serpentait tranquillement
sur le coteau oriental du Val d'Allier.
Le temps se levait en ce milieu d'après-midi.
Une éclaircie dégageait
nettement les collines à l'horizon.
Las de jouer au détective, l'inspecteur
monta directement à l'Hôtel
de Ville, attiré sans aucun doute
par le large espace qui l'entoure. Les
gardes municipaux étant absents,
une secrétaire accepta de lui répondre.
? Monsieur Bertoldi ? Oui, il est connu
ici. Ancien cheminot, conducteur, il me
semble. Il habite un pavillon sur la colline.
Il exerce un petit emploi sur Vichy, je
crois. Voilà tout ce que je peux
vous dire, fit la femme, brune boulotte
dont le visage avait conservé une
finesse, légèrement crispée./...
Saint-Pourçain-sur-Sioule
(Breux)
" Leprince. Monsieur André
Leprince. En deux mots ? "
Maryse fit la moue. Lacaze dans ces cas-là,
lui apparaissait sûr de lui, persifleur,
un peu trop flic, quoi.
Ils venaient de traverser Saint-Pourçain
et dévalaient une colline surplombant
la Sioule.
" Piano ! lâcha Maryse. Tu
as confiance dans les freins de cette
bagnole ? "
La 204 couina un peu et prit sans encombre
l'étroit et sec virage derrière
lequel apparut le hameau de Breux avec
ses paisibles colombages, ses maisons
rénovées et ses pommiers.
La Sioule sinuait paresseusement au pied
de sa berge verte broutée par le
bétail./...
En
Berry : Ivoy-le-Pré, Henrichemont
D'emblée Bourbonnais fut conquis.
Les manteaux forestiers denses, parfois
ténébreux, presque hostiles,
avaient succédé aux ondulations
céréalières. Non
pas qu'il détestât la campagne
cultivée, mais la profondeur de
la forêt, sa richesse, son mystère,
le stimulaient au plus haut point. L'environnement
sylvestre avait abrité ses jeux
d'enfant et nourri sa soif de découvertes.
Le commissaire s'installa sous les antiques
et robustes boiseries de l'hôtel.
Il l'avait choisi sans connaître,
d'après l'annuaire, intrigué
par son intitulé grotesque et prometteur.
En fait, il contenta ses appétits
gourmets par une simple andouillette-frites
bien arrosée de bière qui
le régala, repoussant à
plus tard l'incontournable crottin de
Chavignol associé au Sancerre.
Cette enquête loin de ses bases
lui procurait la sensation d'arriver en
villégiature, doublée d'une
petite suffisance liée au statut
de commissaire./...
Jaligny
Ce
fut pour l'inspectrice Ancelin, l'occasion
de refaire une sortie qu'elle aimait bien.
Comme le temps était clair et surtout
qu'elle était seule et ne risquait
par conséquent aucun sarcasme,
elle fit un petit arrêt, légèrement
scabreux, sur une crête de la route
en corniche, dite de Rhue, qui conduit
à Saint-Germain-des-Fossés,
d'où elle savait pouvoir embrasser
la ligne des Dômes assombrie sous
l'éclat du ponant. Un instant car
des mimiques expressives depuis la cabine
d'un tracteur de lourde bétaillère
ralentie, l'avaient déjà
chassée. N'importe : une bouffée
d'oxygène dans un quotidien souvent
sordide. Et elle recommença, cette
fois en toute quiétude, sur la
minuscule route de Saint-Félix.
Ainsi arriva-t-elle fort détendue
à Jaligny où son entretien
avec le maire, Mme Éliette Debeausse,
avait été préparé
téléphoniquement depuis
le commissariat alors qu'elle roulait
déjà.
L'accueil de Mme Debeausse fut simple
et cordial. /...
La
journée s'écoula sans évolution
notable de la situation. Delgado fut amené
dans le bureau des inspecteurs où
il réitéra les affirmations
déjà entendues. Lacaze enquêtait.
Coup de fil à la mairie de Durdat-Larequille,
près de Commentry, où
était né le suspect, trente-cinq
ans auparavant. L'état-civil confirmait
la naissance de deux frères jumeaux
: Delgado Antoine et Delgado Philippe,
déclarés et enregistrés
le même jour.
Il fallut rappeler en fin d'après-midi.
Le maire, enfin présent, répondit
longuement aux questions de l'enquêteur.
Il avait connu le père, ferrailleur
maintenant retiré. Quant aux fils,
leur évolution très différente
était de notoriété
publique au village. L'un, que l'on considérait
bizarrement comme le frère aîné,
s'était élevé dans
le droit chemin. Devenu boulanger, il
avait été commis à
Commentry, puis était parti pour
se marier ou peut-être même
se mettre à son compte. Dans une
ville importante de la région.
Mais la mémoire de l'élu
se brouillait et il ne pouvait en dire
plus. Quant au " cadet ", il
s'était toujours comporté
en enfant rebelle puis marginal, entouré
de fréquentations douteuses. Pas
très surprenant, au fond, qu'il
soit impliqué dans des affaires
scabreuses.
À la dernière question de
savoir si les deux frères étaient
jumeaux " parfaits ", c'est-à-dire
issus du même uf (l'inspecteur
dut expliquer que c'était le seul
cas où les empreintes digitales
pouvaient être confondues), le maire
déclara ne pas savoir, mais que
si on s'en remettait au simple bon sens,
les deux fils paraissaient bien différents
l'un de l'autre.
Aux infos télévisées
régionales du soir, la nouvelle
piste fut évoquée avec insistance:
" Dans l'affaire du meurtre de Saint-Yorre,
l'enquête policière qui piétinait
depuis de nombreuses semaines, connaît
une évolution inattendue. Grâce
aux investigations de la gendarmerie sur
les cambriolages de Gannat et Saint-Yorre,
un homme a été arrêté.
Il serait même passé aux
aveux. Or le suspect, un certain Delgado,
aurait un frère jumeau, dont les
empreintes digitales présenteraient
plusieurs points de concordance avec celles
relevées sur les lieux du cambriolage
et du meurtre à Saint-Yorre. Grâce
au coup de pouce des gendarmes, la P.J.
de Vichy progresse, et on pourrait connaître
un dénouement rapide. " /...
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