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1
Une ambiance particulière
Un été inattendu. Celui
où tout s'arrête. Une humanité
qui vit au ralenti et pourtant se sent
exposée à tous les risques.
La pandémie casse, détruit,
impose sa chape de plomb. Évitons
les autres ! Même les berges de
l'Isère deviennent trop petites.
On retient son souffle lorsque passe un
cycliste ou un jogger dont l'haleine,
qui sait ? serait pervertie et insidieuse.
Toutes les infos circulent. Celles des
Docteurs qui découvrent peu à
peu une réalité inconnue.
Et celles que propagent les forts en gueule,
lesquels prétendent savoir, conformistes
ou complotistes qu'ils soient.
Une base éphémère
de canoë a été montée
en aval du Pont vieux, non loin, à
vol de mouette, du centre historique de
Romans-sur-Isère. La rivière
est large. Une vraie retenue d'eau entre
deux barrages qui, en dépit de
ses larges méandres, évoque
un canal rhodanien. Une dizaine de kilomètres
de long et cent cinquante mètres
de large. Quelle magnifique occasion de
s'isoler et de prendre exercice et plaisir
à remonter le courant, léger
en cette saison, puis, à se laisser
dériver au retour.
Mais les eaux ne sont pas vraiment sereines.
Sombres. Grises des particules arrachées
aux galets, cailloux, rochers alpins qu'elles
polissent depuis des temps qui dépassent
l'entendement humain, elles n'offrent
pas de vraie tranquillité. On les
sent prêtes à rugir et emporter.
La célèbre crue record de
1856, inscrite par des repères
sur les immeubles des berges, hante la
mémoire. Qu'un barrage lâche
ou rejette violemment, c'est le déluge.
La scène se situe en plein mois
de juillet par temps de canicule. Un calme
trompeur règne sur la rivière.
En fin de matinée, le ciel bleu
a blêmi. Le courant, entre les rives
verdoyantes, sommeille. Les platanes de
la berge péageoise dressent leurs
têtes feuillues en regard du vert
sombre de la falaise romanaise.
Après avoir planté le décor,
il nous faut y introduire les personnages.
Car nous sommes presque comme au théâtre,
c'est-à-dire en vase clos, sur
un canoë, au milieu de l'eau.
Ils sont deux. Un couple : William et
Sophie. Et puis, on a affaire à
tous ceux qui, depuis la berge ont vu
ou croiront l'avoir fait.
Lui, est âgé d'une vingtaine
d'années. Il étudie les
Lettres classiques dans une prépa
grenobloise. Les mauvaises langues prétendent
qu'il est khâgneux à tous
les sens du terme. C'est-à-dire
perdu dans ses livres, dégingandé
et gauche de sa personne. Autrement dit,
son grand corps maigre n'a vraiment rien
de sportif. Il n'est pas anodin de le
préciser car cela peut sans doute
expliquer certains événements
ultérieurs. Il s'est laissé
entraîner dans le canoë qui
tangue au milieu de la rivière.
Il ne sait pas nager mais a enfilé
un vieux gilet de sauvetage probablement
mal accroché. Le fait qu'il le
porte sera néanmoins confirmé
par des témoins de Bourg-de-Péage.
Ceux-ci, occupés à des parties
de pétanque, bénéficient
d'une échancrure dans la végétation
luxuriante qui masque le lit de l'Isère
aux riverains. Leur regard est instinctivement
attiré au passage plutôt
occasionnel d'une embarcation. L'un d'eux
a remarqué, outre le rouge vif
des gilets, un certain contraste entre
la fluidité des éclaboussures
générées par le mouvement
du canoë et la rigidité de
la coque. Cela indique un rythme de pagayage
soutenu. Rien d'anormal, donc. Mais qui
imprime cette vigueur à la course
du canoë ?
Là, intervient le second personnage,
Sophie, clé, en fait, de toute
cette histoire. Une énigme. Aux
dires des uns, personnage sulfureux. Victime
pour les autres. Mais, n'anticipons pas
le cours des événements.
Sophie est une jeune femme active. Plus
âgée que William, elle a
dépassé la trentaine. Elle
s'est illustrée dans le sport local,
notamment le handball avec le club de
Bourg-de-Péage, faisant quelques
apparitions au plus haut niveau lors de
matchs du championnat de France. Mais
elle n'a pas convaincu et, lassée
d'être une doublure, elle a quitté
les pros du Bourg-de-Péage Drôme
handball pour pratiquer le loisir à
Romans, au HBCR.
Mais elle sait tout faire : ski, tennis,
vélo, course à pied, randonnée,
natation et, naturellement, canoë.
C'est elle qui a entraîné
William au milieu des eaux, a précisé
l'enquête. Et les témoins
n'ont pas manqué pour la charger.
À croire que son style déluré,
un peu garçonne, déplaît.
À la barre des Assises de la Drôme,
lors du procès qui s'est tenu à
Valence, l'avocat de la famille du jeune
homme a fait dire ceci à l'animateur
qui gérait sur la berge romanaise,
le prêt et le départ des
embarcations :
- William hésitait, c'est elle
qui l'a poussé.
- Encouragé, incité, stimulé,
peut-être, comme on le fait pour
un ami qui a le trac, avait corrigé
l'avocat de Sophie.
N'empêche que le terme " poussé
" a bien été retenu
par le jury.
Un autre élément n'a pas
plaidé sa faveur, c'est l'écart
social entre les deux jeunes gens. William
est issu d'une famille romanaise connue.
Son père possède un restaurant
chic place Jean Jaurès, le San
Vito. Son grand-père a été
maire de la ville. Sophie, au contraire,
n'a aucun statut social. Elle galère
avec une petite auto-entreprise artisanale.
Elle crée des bijoux et a tenté
de participer à une boutique collective
de la Côte Jacquemart pour vendre
ses productions, mais, le manque de résultats
l'a empêchée de continuer.
Il faut dire que s'inscrire dans un créneau
de prestige implique un investissement
conséquent en matière première,
or, argent, pierres précieuses,
bien au-dessus de ses moyens. Quelle que
soit la qualité de ses créations,
elles restent peu rentables car ciselées
sur de la pacotille.
Mais, en quoi une supposée culpabilité
avait-elle rapport à sa situation
sociale ?
../
4
Témoignage insidieux
C'est alors qu'apparut à la barre
une certaine Élodie Clément.
Le moins qu'on puisse dire est qu'elle
portait mal son nom de famille car son
intervention fut dévastatrice et
décisive pour l'issue du procès.
Cette jeune femme originaire de Valence
affirma avoir initié une relation
avec William Duchesne quelques mois plus
tôt. Les deux nouveaux amis se voyaient
peu mais entretenaient un dialogue régulier
de textos que l'avocat de la partie civile
se fit un plaisir d'étaler sous
forme de feuilles distribuées à
tous les présents.
Qu'y voyait-on ?
Que la jeune Élodie Clément
poussait William à rompre sa relation
avec Sophie. Celui-ci paraissait être
un peu hésitant. Cédant
à l'insistance de sa nouvelle compagne
il avouait craindre une réaction
de Sophie Revirolle, affirmait qu'elle
pouvait se montrer rebelle, difficile,
peut-être même violente. Enfin,
dans message écrit la veille de
sa noyade, il disait qu'il rencontrerait
Sophie et qu'il allait lui annoncer la
rupture, c'était promis.
On imagine les commentaires de l'avocat.
On découvrait le mobile. On comprenait
maintenant les indices concordants : le
sujet de la dispute entendue depuis la
rive par les boulistes, à savoir
une rupture à peine annoncée
; une réaction violente de l'accusée
(tremblement de l'embarcation)... cette
allégation était immédiatement
contredite par l'avocat de Sophie et retirée
; la noyade, qui survenait loin des regards
; il ne manquait que les aveux.
../
6
Un détective à la manuvre
Nous voici trois ans plus tard, en plein
futur de la pandémie de Coronavirus.
La situation que l'on connaissait au moment
de la noyade de William Duchesne, c'est-à-dire,
une épidémie pratiquement
incontrôlable, des périodes
de confinement, des vaccinations aléatoires
au gré des livraisons d'industries
pharmaceutiques étrangères,
a bien évolué. La pandémie,
en soi, est jugulée, mais une grande
prudence reste de mise. On connaît
de temps à autre, des soubresauts
avec le retour de variants dans certaines
zones du territoire national ou bien de
simples clusters dus à des retours
de l'étranger mal maîtrisés.
Nous suivons Jean Becker, détective
privé. Ou plutôt John Becker.
Puisqu'il est arrivé, il y a maintenant
presque vingt ans, du Canada, pour s'installer
à Romans. Pas du Québec
ou de la Nouvelle France, de l'Ontario
anglophone. Il a fait la Police Academy
et a même glané quelques
galons dans l'exercice de la fonction
à Kingston, puis à Belleville.
Il s'est toujours intéressé
aux langues vivantes, français,
espagnol, et a même acquis, au cours
de sa jeunesse, une bonne pratique de
notre langue par des petits boulots qu'il
venait exercer l'été dans
la ville voisine de Montréal. Et
puis un joli minois passa par là.
Une jeune étudiante française
dont il tomba amoureux et qu'il suivit
jusqu'à Romans. Devenue Directrice
des relations humaines dans une entreprise
de l'Isère. Et lui, après
avoir démissionné de la
police canadienne, s'est installé
comme détective privé à
Romans. Il a tenté de corriger
sa diction, mais la petite touche mi-anglophone
mi-québécoise qui colorie
encore ses phrases lui procure une petite
aura de héros policier de polar.
Il vient d'être contacté
par la famille Duchesne, les parents de
William. Ceux-ci, en effet, ont les moyens,
car, outre leur restaurant huppé
en plein centre de Romans, ils ont édifié
de toutes pièces un centre de vacances
avec villas, restauration, piscines et
même casino de jeux, au bord de
la Méditerranée, non loin
de Frontignan. Cet engagement du détective
en rapport avec la sortie de détention
de Sophie Revirolle, qui date de seulement
quelques semaines, a surpris Jean Becker.
Pourquoi la coupable du meurtre chercherait-elle
à se venger de la famille de la
victime ? Et surtout des témoins
? Car Duchesne, Yves Duchesne, l'employeur
et père de William, a donné
la liste des personnes visées.
Alors, le détective a cherché
dans les archives numériques du
Dauphiné libéré et
de L'Impartial de la Drôme, pour
essayer de comprendre les tenants et aboutissants
du procès. Et le moins qu'on puisse
dire, est qu'il en ressort plutôt
déconcerté. Mais, il se
doit d'honorer son contrat. Point final.
7
Germaine Dumont
C'est le nom du dernier témoin
à charge, depuis la rive péageoise
de l'Isère, non loin du Pont Vieux.
Jean Becker se penche sur son cas. Les
réseaux sociaux ne sont guère
éloquents à son sujet. Elle
a bien une page Facebook absolument vide
de toute information, même si elle
inscrite au groupe Les Bons Plans à
Romans-sur-Isère. Sur Instagram,
elle suit : Ville de Romans qui publie
de nombreuses photos de la capitale de
la chaussure. Elle se limite à
" liker " de temps à
autre, sans délivrer la moindre
information sur sa vie privée.
Le détective se rend à l'évidence
: impossible d'établir un profil
virtuel, il ne reste plus qu'à
lancer une bonne vieille enquête
de terrain.
Pages blanches de l'annuaire. Aucune difficulté
pour obtenir l'adresse : boulevard Rémy
Roure, un immeuble de standing. Donc,
a priori, cette femme n'est pas sur ses
gardes. Cependant, sur place, ça
s'avère un peu plus compliqué.
Jean Becker s'est préparé
une grosse excuse sous forme de sondage
concernant le recensement, mais, il a
beau s'acharner sur la sonnette et l'interphone,
activer les appels de l'appartement avec
son Smartphone, rien ne se produit.
Une femme âgée arrive lentement
jusqu'à la porte d'entrée
en portant un cabas tressé d'où
émerge un bouquet de poireaux.
-Inutile de vous acharner ! Je vous observe
depuis un moment, s'exclame-t-elle, qu'est-ce
que vous lui voulez à Geneviève
?
- Je cherche à la contacter
- Pourquoi donc ? lance la femme, regard
dur.
- C'est pour les assurances
- Ah, lesquelles ?
- Euh
Aléa
.
- Jacta est, bougonne la vieille dame
à qui on ne la fait pas, montée
sur ses ergots. Madame Dumont n'est pas
là.
- Savez-vous quand elle revient ?
- Pas de sitôt.
- Où est-elle partie ?
- Vous lui demanderez quand elle reviendra.
/..
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