Actu   

Amours graves ou frivoles


Meurtre sur l'Isère


Flâneries Bourbonnaises


Meurtre en Drôme des collines


Les dernières heures du duché de Bourbonnais


Bourbonnais pris au piège


Alerte à Romans


Mes écrits récents
Autres publications

English translation
Jules Ferrieux

 

Editions du Petit Pavé

 

 

Editions La Bouquinerie

 

Editions Marivole

 

 

Editions Lettropolis

 

 

Corsicapolar

 

Visitez le BLOG


189 pages


Editions E & R La Bouquinerie

26000 Valence

Romans-sur-Isère (Drôme), la vie tranquille d'une cité moyenne, active, tournée vers la petite industrie, l'artisanat et l'activité commerciale, se voit tout à coup troublée par un fait divers sordide. C'est sur la commune limitrophe de Chatuzange-le-Goubet, à l'ensemble sportif de Pizançon, qu'à l'occasion d'une fête, un crime atroce paraît avoir été initié.
Les faits : lors d'une soirée de juin où était organisé un concours de pétanque avec la joyeuse ambiance qui l'entoure, une jeune fille de quatorze ans disparaît. S'agit-il d'une simple fugue ? Doit-on redouter le pire ?
La famille, les amis de la victime sont romanais, et si les premières constatations ont été faites par la gendarmerie de Bourg-de-Péage, relayée par Romans et Valence, c'est une équipe du commissariat de Romans qui est en charge de l'enquête : les capitaines Kévin Dévaux de Triors (déjà présent comme lieutenant dans " Alerte à Romans "), et Annabelle Favara, naguère lieutenant dans une autre série policière de l'auteur, bien connue pour avoir officié dans " Bourbonnais pris au piège ". Elle vient d'être mutée à Romans.

Claude Ferrieux est l'auteur de Meurtre à Romans et Alerte à Romans, ouvrages qui ont connu un vif succès. Ancien professeur agrégé d'italien et romanais d'adoption depuis de longues années, il se consacre à l'écriture. Outre les romans policiers, il a publié de nombreux ouvrages historiques ou romanesques et est aussi correspondant pour Romans de L'Impartial de la Drôme.
L'enquête présentée ici parcourt la ville de Romans et s'infiltre dans la zone habituellement si paisible, de la Drôme des Collines.

 

Quelques extraits :
1

Des vies bien rangées

Place Gailly, Romans-sur-Isère. Le carillon de la tour Jacquemart vient de lancer sa mélodie aigrelette et charmante. Comme un air de fête en ce vendredi après-midi de mai, prélude aux loisirs du week-end. Les platanes de l'artère voisine se prélassent ; leurs feuilles récemment sorties frémissent sous une légère brise.
Jacques, quadra solide, victime d'un léger embonpoint, s'esclaffe à la terrasse du " Princier ", au milieu de fumeurs buvant un or couronné de mousse blanche.
Olympique de Marseille contre Olympique Lyonnais. L'aventure du Sud face à une référence classique.
Pourtant, quoi de mieux qu'un double petit rappel mythologique pour élever le débat ? Mais rien n'y fait. On se lance dans des querelles générales aussi vaines que récurrentes, écran de fumée tendu devant les risques de dérive sur la vie personnelle et une intimité que l'on ne saurait partager.
Le " Marseillais " conspue le " Lyonnais ", et vice-versa. Le ton monte. Aucune hargne, nul quolibet, comme cela pourrait être le cas entre supporters " verts " ou " quenelle ". La fibre chauvine n'est pas directement titillée puisqu'il s'agit de deux équipes extérieures, même si la logique voudrait que file vers le nord et le chef-lieu régional, la préférence d'un Romanais.
Mais, ce jour-là, l'OM, logiquement, a gagné sur ses terres footballistiques, et Jacques en profite pour enfoncer le clou face à ses amis, qui, en cette douloureuse occasion, feignent d'ignorer un tel résultat. Eux, penchent assez naturellement vers la ville d'où viennent, d'après Jacques, tous les ennuis.
- Déjà le vent, clame-t-il à la ronde. Avec les pollutions qui l'accompagnent.
- Parce que le vent ne vient jamais du sud ? s'écrie Ronan, grand brun mince à nez fort, légèrement plus jeune.
- Rarement.
- Et ta ville préférée ne nous envoie pas des pollutions, peut-être ?
- Que veux-tu dire ?
- Tu ne vois pas ? Si je parle de remontée de poudre blanche, réseaux, tu comprends mieux ? clame Ronan.
- Revenons au foot, concède Jacques en regardant alentour, ce sera mieux pour tout le monde.
Maintenant, les voici lancés sur une autre piste. C'est Michel, un de leurs camarades un peu plus âgé qui a lancé le sujet.
Michel travaille comme pigiste à l'Impartial de la Drôme. Associée à plusieurs autres petits boulots, cette activité lui permet de vivre tout juste décemment, mais sans avoir recours aux minima sociaux. C'est déjà une satisfaction pour lui. Cependant, il n'a pas les moyens d'habiter comme Jacques, dans une villa en périphérie de Romans. Il se contente d'un studio, petit mais tout à fait correct, non loin de la gare, de l'autre côté de la voie ferrée par rapport au centre-ville. Aussi vit-il un peu par procuration dans l'enclos accueillant de son ami en donnant la main pour un bricolage, un petit ouvrage de maçonnerie ou le transport d'un meuble. En échange, il reste boire un apéro, le soir à la fin du chantier, parfois complété d'une viande grillée au barbecue, ou même d'un plongeon dans la piscine en cas de canicule. Il convient de préciser : chez Jacques, car c'est le seul qui bénéficie de cette possibilité, depuis peu, dans un lotissement récent des quartiers ouest.
Les trois amis s'entraident selon les possibilités de chacun. Michel, lui, le plus souvent, apporte l'Impartial qu'il reçoit gracieusement grâce à sa collaboration.
Jacques, romanais de souche, même s'il se reconnaît volontiers une origine grenobloise par sa mère, occupe un poste de cadre à l'usine Framatome à la périphérie de la ville. Ancien élève d'une série technique du lycée du Dauphiné, il a rapidement trouvé cet emploi dans lequel il a réussi. Tout s'est harmonieusement enchaîné.
Il a fait la rencontre d'une jeune fille venue du Sud-drômois pour exercer la profession d'assistante médicale à l'hôpital de Romans. L'intitulé officiel : Hôpitaux Drôme nord l'avait un peu glacée au début, mais elle s'est vite rendu compte qu'un ou deux degrés en moins sur l'échelle météorologique sont largement compensés par la civilité qui caractérise la ville et ses habitants. Et puis le soleil est tout aussi présent en basse vallée de l'Isère qu'à Montbrun-les-bains, sa ville d'origine.
C'est l'objet de petites querelles avec son mari. Le terme : joute serait plus adapté car, au fond, ils ne sont pas vraiment en désaccord. Mais, pour le plaisir, elle s'affirme différente, n'ayant rien de drômois.
- Quoi ? fait Jacques, affectant un grand courroux, regarde la carte ! Comment oserais-tu contester cette réalité ?
- Oui, peut-être. Mais nous sommes provençaux. Et ce n'est pas un découpage arbitraire des députés de la Révolution qui y changera quelque chose. Ils ne connaissaient pas le pays, un point, c'est tout.
- Trop facile. Tu n'as qu'à remonter un peu plus loin dans le temps et regarder attentivement la carte de l'ancienne province du Dauphiné.
Son épouse, naturellement, se garde bien de suivre ce conseil, qui, elle le sait parfaitement, l'amènerait à un cuisant revers. Elle préfère se cantonner dans des affirmations générales qui n'ont nul besoin d'être étayées de preuves et expriment seulement des préférences passionnelles.
Jacques, jouant les savants, insiste :
- Certaines communes étaient enclavées : elles dépendaient du Pape ou des Comtes de Provence bien que situées dans la province du Dauphiné, devenue plus tard territoire drômois, mais ta ville à toi n'était pas dans cette situation-là.
- Oh, tu m'embêtes, répond-elle, tu veux toujours avoir raison. Je suis originaire de la Drôme Provençale. Voilà !
- Ça n'existe pas, la Drôme provençale, ce n'est qu'un label touristique.
- Chez moi, on ne connaît pas Valence ; notre ville de référence, c'est Carpentras. Point barre.
Et Jacques, qui craint quelques représailles intimes, conclut en affirmant que le label Drôme Provençale est plus vendeur que Haut Vaucluse, chute victorieuse car son épouse ne trouve aucun argument à objecter.

Ronan, lui, habite un appartement qui appartient à ses parents dans le centre ancien de Romans, non loin de la place Maurice Faure. Le coup de main de ses " potes " a consisté à refaire quelques tapisseries et peintures. Il vient de s'établir dans la vie à bientôt trente-cinq ans, et plus concrètement, à emménager avec une compagne après avoir trouvé un boulot tardivement. Lui aussi, avait suivi un cursus au lycée du Dauphiné, comme son ami Jacques, mais dans une filière commerciale. Cependant, à la fin des études, il ne s'est pas bousculé pour trouver du travail. Il a occupé plusieurs emplois précaires dans le milieu associatif, et, entre temps, a vécu, il faut bien le dire, au crochet de ses parents. Il a longtemps profité d'un autre logement familial situé dans le quartier de La Pierrotte et gardé les indemnités sociales perçues en guise d'argent de poche, pour conduire une existence insouciante et oisive. Mais tout ça est du passé. Avec une embauche à Hyper U comme responsable de plusieurs rayons, il se sent mûri et capable de stabilité. Cerise sur le gâteau, les locaux entièrement rénovés et climatisés de l'hypermarché incitent à se sentir à l'aise.

2
Soirée festive

Les trois copains pratiquent un loisir commun : le vélo. Ils partent pour de longues randonnées le samedi ou le dimanche, organisées par un club de cyclotourisme de Chatuzange-le-Goubet. Mais pourquoi Chatu ? leur demande-t-on souvent. Question à laquelle ils répondent par une autre interrogation : pourquoi pas ? En fait, ce qui les a attirés n'est autre que le charme d'une petite cité qui s'étale depuis le pied du Vercors jusqu'aux portes de l'agglomération romanaise et où on se trouve à pied d'œuvre pour se lancer dans la campagne.
Or, le club organise une petite fête, comme chaque année au mois de juin. Cela se passe à la Halle des sports de Pizançon. Plusieurs activités sont proposées. Tournoi de pétanque dans les allées gravillonnées entourant le gymnase, face au panorama dégagé façon cinémascope, du Vercors ; tables de jeux pour enfants ; buffet-buvette.
Une campagne d'affichage en ville dans les trois communes de l'agglomération a porté ses fruits. Un nombreux public, étendu bien au-delà des adhérents au club de cyclotourisme, s'est présenté, incité par la chaleur idéale de la journée : soleil tempéré de brise légère.
Les joutes boulistes, en raison du grand nombre d'inscrits, sont appelées à durer, ce qui ravit les organisateurs. En effet, quoi de mieux, en attendant son tour, que de manger une merguez dont les effluves pénétrants commencent à titiller les narines ? On croque quelques frites tout en contribuant à la chute radicale du niveau dans les tonnelets de bière qui ont été convoyés. L'ambiance monte. La sono, entre deux annonces, diffuse une musique rythmée et quelques personnes se sont élancées sur une étroite portion de terrasse bétonnée, puis, à même le sol gravillonné. Il n'est pas besoin, comme dans les danses de salon, d'une piste huilée. On s'agite, se trémousse, pratiquement sur place. Mais cela paraît procurer détente et bien-être à plusieurs épouses de cyclo-boulistes qui, jusque là patientaient, un peu désœuvrées.
Le site, prolongé d'un stade et à l'opposé d'un espace arboré, est clos mais pas fermé. Le portail d'entrée voit arriver des véhicules tard dans la soirée. Une grande fréquentation marque le succès de la manifestation. Vers minuit, le concours de boules entame tout juste sa phase finale. Près de la sono, le nombre de danseurs s'est considérablement accru et, d'abord marginales, leurs évolutions sont devenues le pôle d'attraction de la soirée.
C'est un danger pour les parents qui doivent exercer leur vigilance sur les jeunes enfants. On ne déplore pas d'incident qui troublerait la soirée ; les participants n'éveillent pas la méfiance. Aucun braillard, nul délire dû à une ingurgitation répétitive de bière. Au contraire, une certaine torpeur a envahi les esprits, aussi, lorsque Jacques cherche sa fille, c'est plus par habitude qu'en raison d'une réelle inquiétude.
Une vie qui s'écoule paisiblement, heureuse depuis toujours, paraît devoir poursuivre inéluctablement son cours tranquille. Pourtant, les dangers sont là, tout près, à guetter. On l'ignore, mais ils nous côtoient et si, d'aventure, ils parviennent à mettre la main sur leur proie, nous en l'occurrence, nous tombons de haut.
Célia a quatorze ans. C'est une adolescente d'aspect déjà mûr, mais qui a toujours vécu dans son cocon. Sa vie, jusqu'à présent, est restée exclusivement familiale. En dehors de l'école et maintenant du collège, où elle suit un parcours fort honorable, elle a pratiqué quelques activités, comme la musique, en suivant un cours de guitare au conservatoire de Romans, ou le tennis de table, en ces mêmes lieux ou presque, puisque les entraînements dirigés se tiennent dans la salle adjacente. C'est dire si l'endroit lui est familier et cela montre à quel point elle a dû s'y sentir en confiance tout au long de la soirée.
Jacques n'en revient pas. S'agit-il d'une fugue ? Célia a-t-elle rencontré un garçon qu'elle aurait suivi ? Cette fugue serait d'autant plus inexplicable que Jacques et sa femme, Céline, ne jouent pas aux parents tyranniques. Au contraire, ils se montrent plutôt conciliants et bienveillants.
Que faire ? Appeler la police comme voudrait Céline ?
Non, Jacques entend dédramatiser, ne pas s'affoler. On est encore dans le temps où agir de manière privée réduit l'événement en simple incident. On se forge une carapace optimiste, on s'étourdit de courses en toutes directions, on prête l'oreille aux avis rassurants.

../

7
Ronan dans l'œil du cyclone

Les révélations ou prétendues telles de Johann Bois ont attiré l'attention sur Ronan. Les deux enquêteurs épluchent son dossier. Le responsable de rayon à Hyper U est inconnu des fichiers du Stic. Casier vierge. Aucune infraction notable. Sans doute quelques points de permis de conduire perdus, comme tout le monde. Et rien de plus.
- On va lui rendre visite, propose Kévin.
- Ok, fait Annabelle, mais, avant, jetons un œil sur les docs qui viennent d'arriver.
Les gendarmes ont envoyé un ensemble de vidéos récupérées au péage autoroutier et même dans une boulangerie située au rond-point proche de la Halle des sports. Eux-mêmes ont commencé à visionner, mais sans succès jusqu'à présent.
- On n'a pas le temps, affirme Kévin. Puis, il imprime des photos de Célia et demande à deux gardiens de s'y coller. Naturellement, ceux-ci récriminent : plein de paperasses à remplir, une patrouille programmée.
Alors, Annabelle se fâche :
- Pendant ce temps, une gamine de 14 ans est peut-être en train de subir les pires sévices, et ça dérange vos petites habitudes ?
C'est la première fois que la capitaine fraîchement arrivée montre son autorité, et cela porte. Les gardiens téléchargent les vidéos en silence.
Annabelle et Kévin ont pris leur véhicule banalisé pour longer l'Isère. Au niveau de la collégiale, Kévin continue tout droit, mais, très vite, il cherche à se garer. En vain.
- On ne pouvait pas venir à pied ? demande la capitaine qui s'étonne qu'ils aient pris un véhicule pour un si court trajet.
Puis, comme Kévin reste enfermé dans son mutisme, elle ajoute :
- C'est un quartier chaud ?
- Moyen, dit Kévin.
Il ajoute :
- Garde ton blouson !
- Quoi ? Qu'est-ce qu'il a mon blouson ?
- Non, je blague. Blouson... Quartier chaud... Sérieusement, même si ça fait chaud, il vaut mieux cacher qu'on a une arme.

Ne trouvant aucune place, Kévin s'arrête à cheval sur la piste cyclable. C'est alors que survient un vieux monsieur juché plus ou moins habilement sur une bicyclette électrique, qui manifeste une colère froide :
- Vous gênez les cyclistes.
Annabelle rabat le pare-soleil qui porte la mention POLICE.
Alors, le vieux :
- Là, c'est encore pire, les services officiels ! Avec tout ce tapage qu'on fait avec la " Voie Verte ", la " Via Rhôna ", et il passe son chemin mais on l'entend encore maugréer : Du pseudo-latin, si encore c'était la " Via Rhodania ", je comprendrais.
Kévin dit :
- Oh, le vieux, il nous... hein !
- Moi, je trouve qu'il n'a pas tort, rétorque Annabelle.
- Tu veux demander des vélos au chef ?
- Pourquoi pas ?
- Après tu poseras ta candidature chez les Municipaux, persifle Kévin.
- Tu sais, ils sont bien formés, maintenant.
- Ok, ok, dit Kévin qui tient absolument à avoir le dernier mot.

Les voici qui traversent à pied la place Maurice Faure. Un groupe de jeunes, désœuvrés, les observe de loin.
- Tu crois qu'on est grillés ? demande Annabelle.
- Pour notre couverture, fais-moi un bisou sur la bouche...
- Putain, t'es con.
- Non, on n'est pas grillés et ce ne sont pas forcément des dealers. Il y a des habitudes comme ça, qui se propagent, des exemples qu'il est de bon ton de reproduire.
- Oui, des machos, y en a partout... si tu vois ce que je veux dire.
Kévin voudrait répondre, mais ils sont arrivés devant la porte d'entrée d'un immeuble. Tout est ancien, le quartier, le bâtiment, mais l'intérieur est très propre, coquet même. Car les deux policiers ont profité de la sortie d'un résident, qui leur a tenu la porte en souriant, sans rien demander, pour s'introduire. Ne sachant vers quel étage se diriger, ils ont soupiré en passant devant l'ascenseur et pris l'escalier. Il leur faut monter au troisième étage pour enfin reconnaître sur la porte la plaque portant l'inscription : Ronan Bartel et Marine Berger.
Ils sonnent. Une jeune femme ouvre. Elle porte une serviette entourée comme un turban autour des cheveux et un peignoir de bain. Manifestement, les policiers ont troublé sa toilette.
- Ronan n'est pas là, répond-elle à la demande d'Annabelle.
On peut voir des cartons empilés dans le vestibule de l'appartement.
- On peut rentrer.
- Je vous ai dit qu'il n'est pas là.
Kévin :
- On voudrait vous parler.
- À moi ?
- Oui. Qu'est-ce que vous avez là ? fait le policier en pointant son index vers la joue de la jeune femme qui présente une rougeur et un soupçon d'œil au beurre noir.
La femme laisse entrer les policiers qui s'avancent sans façons et pénètrent dans le salon.
Ils découvrent un mobilier de style, d'épais tapis, des rideaux à courtine, un ensemble très cossu qu'on n'attendrait pas chez une personne salariée depuis peu.
- Vous déménagez ?
- Oui.
- Pour aller où ? si ce n'est pas indiscret, concède Annabelle.
- Je pars.
- Seule ?
- Oui, provisoirement chez mes parents, aux Ors.
- Il vous a frappée ? insiste Kévin.
Pas de réponse.
- Il faut porter plainte.
Silence
- Il vous a menacée ?
- Je ne peux rien vous dire.
- Pourquoi est-ce que vous partez ?
- Je veux vivre tranquille et je sais que je le serai chez mes parents.
- Vous n'êtes pas tranquille, ici, n'est-ce pas ? demande Annabelle.
- À votre avis ?
- Il vous bat.
- Il n'y a pas que ça.
- Il vous trompe ? demande Kévin. C'est un gars pas sérieux ?
- Il me prend pour une conne et j'en ai marre. Les sorties avec les copains, les rentrées à point d'heure, les nuits passées je ne sais où, j'ignore avec qui, ras le bol.
- On peut voir sa chambre ? demande Annabelle.
- Vous avez un mandat ? Non ? Alors, c'est : Niet.
- Vous regardez trop de séries américaines. Une petite visite impromptue, c'est rien, pas d'ennuis. Vite fait, bien fait. Quant à une convocation au poste, avec mandat, perquise, fouille en règle y compris dans vos petites culottes, moi, j'aurais vite fait mon choix, précise Kévin.
- Bon, ça va, allez-y. Mais les menaces... C'est par ici.
Les deux Opj pénètrent plus avant dans l'appartement. L'aspect cossu est toujours présent dans une chambre de style un peu suranné. On est loin des lignes sobres contemporaines et il est difficile d'imaginer des scènes de violence conjugale dans l'environnement d'une paisible chambre de grand-mère.
Sur un guéridon, dans un angle, est posé un ordinateur portable.
- On l'emporte, dit impérativement Kévin.
- Mais c'est le mien, s'insurge la compagne de Ronan.
- Vous le partagez bien avec votre compagnon.
- Ex-compagnon. Oui, mais il est à moi et j'avais l'intention de l'emporter.
- On l'examine et on vous le rend dans la journée.
- Mais c'est ma vie privée, vous n'avez pas le droit...
- Dans une enquête criminelle, on a tous les droits, affirme Annabelle. Donnez-nous votre nouvelle adresse et on vous le fait parvenir dans la journée.

8
Les médias s'en mêlent

Nos deux enquêteurs rentrent au commissariat. Mais il va sans dire que chacune de leurs sorties est épiée.
C'est l'Impartial de la Drôme qui donne l'alerte. Un de ses journalistes, venu couvrir la conférence de presse d'une association liée à la collégiale, a aperçu par hasard, à travers les vitres du restaurant La Table de Saint-Barnard, les Opj alors qu'ils entraient dans l'immeuble où habite Ronan Bartel, exactement rue Pélissière. Enquête de voisinage, contact avec Marine Berger, la compagne de Ronan, après le départ des policiers, les nouvelles vont vite et sont disponibles pour le bouclage du journal, le mercredi matin. Les soupçons qui commencent à peser désormais sur Ronan se trouvent amplifiés et même corroborés par des photos que Mike, le correspondant du journal pour la commune de Chatuzange-le-Goubet dont dépend la Halle des sports de Pizançon, avait prises au début de la manifestation. L'une d'entre elles s'étale dans l'hebdomadaire : on y voit nettement Ronan penché qui parle à l'oreille de Célia.
Le journal fait écho à la tension qui monte, au troisième jour de la disparition de la jeune fille. Les parents, morts d'inquiétude, lancent un appel à témoins.
Au commissariat, Annabelle et Kévin assis à leur bureau, épluchent les premiers résultats des analyses transmis par la gendarmerie.
L'Ircgn de Pontoise a commencé à étudié l'Adn relevé sur la boucle d'oreille : on a décelé trois traces, celle de Célia, comme il fallait s'y attendre - vite repérée suite à un prélèvement effectué au domicile familial de la jeune fille - et, plus inquiétant, deux dont l'analyse prendra quelque temps.
Enfin, des empreintes digitales partielles ont bien été repérées sur la boucle, mais la surface trop réduite les rend inexploitables
Quant aux vidéos de péage autoroutier et des commerces du rond-point, la Bdrij (Brigade départementale de recherches et investigations judiciaires) de Valence les a examinées soigneusement. Mais aucun fait suspect n'a été décelé, nul personnage qui pourrait être en relation à l'affaire n'a été remarqué.
Il reste le bornage du téléphone portable de Célia. C'est la Cellule Ariane localisée à Pontoise, appartenant au Service central de renseignement criminel qui s'en charge. Armés du puissant logiciel Anacrim ils sont capables de suivre tous les déplacements. Naturellement, le bornage des portables de Célia et Ronan converge jusqu'à Pizançon. Ensuite, rien. Ronan passe à Romans. Le téléphone de Célia, étrangement, devient muet.
- Peut-être l'a-t-elle éteint, dit Kévin au commissaire Durin qui a littéralement fait une descente depuis l'étage supérieur et fondu comme l'aigle sur sa proie jusqu'au bureau où s'est installée le nouveau tandem de capitaines.
- Ou désactivé, ajoute Annabelle, pincée dans un petit sourire contrit qui tente d'éloigner la menace de la foudre et de l'éclair. Il peut aussi avoir été perdu ou détruit.
- Vous avez lu L'Impartial ? tonitrue le commissaire. Les analyses Adn, les vidéos, les bornages, c'est bien gentil tout ça, mais eux, rien qu'avec le pif, ils en savent plus que nous. Alors, vous vous remuez, avec les bonnes vieilles méthodes de l'ancienne école.
- Oui, commissaire, bien sûr, mais on envisage de faire passer au peigne fin la voiture du suspect Ronan Bartel, vous n'avez rien contre ? demande-t-elle, visage éclairé d'un charmant sourire.
Durin marmonne " Naturellement, naturellement ", et remonte en hochant la tête vers son bureau.
Le temps presse. Une convocation de Ronan repousserait les délais. Direction Hyper U en véhicule banalisé. Une halte à l'accueil. Coup de fil. Et une femme élégante, d'âge mûr, arrive souriante. Elle conduit discrètement le couple d'enquêteurs vers une porte cachée dans un angle et les fait monter jusqu'à son bureau. Là, une discussion courtoise mais ferme s'engage, ayant pour but d'éviter tout scandale nuisible à l'activité commerciale.
C'est ainsi que la Drh envoie quérir le sieur Bartel à son rayon d'accessoires de bricolage et elle s'éclipse, laissant aux Opj la discrétion de son bureau pour ce qui n'est a priori qu'une audition.
Mais, entre-temps, les choses ont été très vite. Marine Berger - l'ex - a confié aux policiers un double des clés de la Volkswagen de collection que Ronan gare à l'arrière d'Hyper U. Avec sa couleur jaune vif, on ne peut la rater. Et les policiers ont fait diligence. Naturellement pas pour tous les résultats Adn qui prennent du temps. Mais, déjà, l'empreinte digitale de Célia a été trouvée dans la voiture. Préalablement, un échantillon pris au domicile de la jeune fille sur un sèche-cheveux, avait été photographié et envoyé au fichier. Dès lors, les gardiens du commissariat de Romans, bien formés, ont été capables de prouver séance tenante la concordance. Ils ont inséré la photo numérique de l'empreinte dans leur mini-ordinateur et l'ont envoyée au fichier central. Réponse immédiate. Célia est bien montée dans le véhicule de Ronan. Leur succès permettra à Kévin de justifier auprès du procureur le fait d'avoir doublé les gendarmes scientifiques. Mais, devant l'urgence, foin de guerre des polices.
L'entretien est à peine commencé. Le téléphone de Kévin sonne. Cela interrompt l'audition. Puis, le capitaine chuchote à l'oreille de sa collègue. Il parle à Ronan qui tombe des nues. On lui annonce conjointement que sa copine s'est barrée et qu'il est suspecté de la disparition inquiétante. Abasourdi, lui qui, habituellement peut être défini comme une grande gueule, se tient coi.
Menottes. Porte dérobée pour sauver les apparences. Transfert au commissariat.
Dès que l'interrogatoire recommence, Ronan change de personnalité. Ce grand garçon, décontracté, exubérant, braillard, se ferme. Une sourde colère bloque sa mâchoire. Ses réponses, bourdonnées d'une voix trop sourde, traduisent la révolte qu'il a peine à contenir.
- Vous aimez bien la petite Célia, attaque Annabelle.
- Qu'est-ce que vous cherchez à me faire dire ?
- Que tu la trouves mignonne, intervient Kévin.
- Je la trouve, je la trouve... qu'est-ce que ça peut vous foutre ?
- Holà, on reste poli, Monsieur Bartel, reprend Annabelle.
- Oui, bon, l'urgence, c'est de la retrouver, vous ne croyez pas ? au lieu de me casser les... au lieu de me harceler avec des c... avec des... questions à la... à la noix, balbutie Ronan dans l'effort de chasser les mots crus que l'émotion pousse sur ses lèvres.
- Regarde !
Kévin fait face à Ronan; il pose une photo devant lui sur la table ; lentement, il la fait pivoter. Ronan, intrigué, tord son cou de girafe.
Lorsque la photo est devant lui :
- Eh, ben, quoi ?
- Tu la serres de près la petite Célia, dit Ronan.
- Vous dites n'importe quoi. Je ne la serre pas, je suis penché pour lui parler.
- Cela montre une intimité, déclare Annabelle. C'est votre petite copine ?
À ce moment, le commissaire Durin frappe à la porte et passe sa tête grise dans l'entrebâillement. Il fait signe aux Opj de venir. Un gardien les remplace.
Dans le couloir, le commissaire s'exprime à mi-voix :
- Votre demande de recherches aériennes... c'est non.
- Pourtant, ça pourrait être efficace... une voiture abandonnée, des traces, la tâche colorée d'un vêtement... regrette Annabelle.
- Vous n'avez pas besoin de me faire l'article, réplique Durin, je ne suis pas né de la dernière pluie, la réponse est : Niet.
Puis, il pointe son index vers le plafond et ajoute en s'éloignant :
- Il n'a plus de budget, c'est beaucoup trop cher, l'hélico.
Annabelle demande à Kévin dans un murmure :
- Là-haut, y a qui ?
- Personne. C'est une image pour la hiérarchie.
- Et il n'a même pas essayé auprès du procureur.
- Il était mieux ton précédent commissaire ?
- Bourbonnais ? Ça dépendait des jours. Plus chaleureux en tout cas.
- Durin est tout près de la retraite, alors, il s'en fout un peu.
- Oui, mais on a une fille dans la nature.


/..

 

 

 

 

 

 

 

Copyright © 2004 - Editions Scalea - Studiare italiano - Tous droits réservés.[Design by : Kits Graphiques TK]

Fractale de Bernard Chancogne