

160 pages
Editions E & R La Bouquinerie
26000
Valence
Entre
deux séjours à Vichy, une
promotion comme commissaire principal
a envoyé Jean-Claude Bourbonnais
en poste à Clermont-Ferrand. L'histoire
se situe donc dans les années 90.
Plusieurs intrigues s'entremêlent,
se déplacent entre Auvergne, Bourbonnais
et Berry.
Une série de cambriolages à
Vichy, Gannat, Clermont, amènent
leurs auteurs à une prise d'otage.
Le commissaire croit en reconnaître
l'instigateur. Mais lui-même, un
peu trop ami avec des gens douteux, risque
de se retrouver compromis. Par ailleurs,
un couple âgé a disparu.
Pris dans le tourbillon des enquêtes,
Bourbonnais ne voit pas venir les menaces
qui pèsent sur lui personnellement.
Cependant, confronté aux épreuves,
il saura réagir fermement dans
un épisode final situé dans
son pays natal de Varennes.
Un roman régional qui, parti de
l'agglomération clermontoise, visite
Moulins, Montluçon, Vichy, Bourges
et le Haut-Berry.
Claude Ferrieux est originaire de Varennes-sur-Allier.
Ses études l'ont conduit successivement
à Moulins et Clermont-Ferrand.
Ancien professeur agrégé
d'italien, il a exercé en Sicile,
en Corse, dans le Sud-ouest et la Drôme
où il vit maintenant. Il est l'auteur
de romans historiques, de récits,
de polars, ayant pour cadre son Bourbonnais
natal, Clermont et le Berry de ses aïeux,
les pays méditerranéens,
et sa région actuelle.
Quelques
extraits :
1
Commissaire Principal Limowitz
Clermont-Ferrand,
1996
Nom : Limowitz
Prénom : Jean-Claude
Lassé d'exiger des autres qu'ils
déclinent leur identité
alors que je masque la mienne, la véritable,
je me présente en toute sincérité
au lecteur, auquel j'entends raconter
quelques pans de ma vie actuelle. Le nom
d'emprunt : Bourbonnais, pris par mon
père juste avant la Seconde Guerre
mondiale se justifiait par la crainte
de voir les Nazis ou leurs dévoués
serviteurs pétainistes, saisir
le prétexte de ce nom d'origine
juive ukrainienne, perdu dans la nuit
des temps, pour nous rafler. Il est vrai
qu'au Canada où nous avions émigré,
nous ne risquions plus grand-chose. Mais
l'époque a changé. À
l'approche de la fin du second millénaire,
on peut estimer que la société
française a trouvé un certain
équilibre. Moi, je ne fréquente
pas la synagogue, ni un quelconque autre
temple. Je me revendique athée.
Tiraillé à l'époque
de ma tendre enfance, entre deux grand-mères
très pieuses, l'une qui pensait
incarner la filiation juive, l'autre,
pure bourbonnaise, ne cessant de s'effrayer
et s'indigner à la simple idée
que je puisse fréquenter un lieu
de culte non catholique, à l'instar
de mon père, je suis devenu laïc
convaincu.
Je suis installé depuis plusieurs
années à Clermont, suite
à une promotion, et nous louons,
mon épouse Jeanine et moi, une
maison perchée sur les premiers
contreforts volcaniques dominant l'agglomération.
Certains amis me taquinent à propos
de Durtol : " Ah, oui, là
où les poules ont des crampons
! " Il est vrai que mon enclos est
abrupt. Tondre les parcelles de gazon
relève du numéro d'équilibriste.
S'il existe une petite terrasse parking
au niveau de la rue, l'entrée de
la maison plonge immédiatement
vers l'étage inférieur où
se trouvent les chambres et la salle de
bain. Il convient de descendre encore
d'un étage pour atteindre notre
séjour qui s'étale sur une
plate-forme miraculeusement laissée
par la lave. Depuis les larges baies vitrées
qui reçoivent la clarté
du levant, on embrasse toute l'agglomération
clermontoise hérissée des
flèches sombres de la cathédrale.
Je m'y trouve bien. Ici, mon esprit s'élève
à tous les égards et je
respire.
Car, là-bas, dans le centre historique,
les ruelles sombres qui montent à
la cathédrale ou sinuent à
son pied, m'apparaissent insalubres et
hostiles. Ce n'est peut-être pas
tant lié à ma fonction,
qui ne me conduit pas très souvent
sur le terrain, qu'à des raisons
personnelles qui seront l'objet essentiel
de ce récit. /..
3
Invité dans le quartier sombre
du vieux Clermont
Je suis donc membre d'un groupe dans lequel
je rencontre des gens, en principe venus
de tous horizons, mais, quand même
marqué d'une forte présence
de notables. De temps à autre,
après la douche on discute dans
le vestiaire, puis, lorsqu'un concierge
vous chasse, sur un trottoir. La conversation,
engagée sur les sujets sportifs,
dérive, s'enrichit, prend un tour
plus personnel. Les vies privées,
néanmoins, restent secrètes.
Cela devient une habitude, et, un jour
où la saison froidit, on se réfugie
dans un bar voisin. Peu à peu,
on se prend à l'engrenage : on
m'a régalé, je me sens obligé
de payer une bonne bière à
mon tour. Jamais, cependant, je n'ai reçu
la moindre invitation au domicile d'un
de mes nouveaux amis. Ils m'ont toujours
amené chez des tiers ou dans des
lieux neutres. Au début, cela m'étonnait
un peu, car, moi j'avais fait l'effort
de réception at home d'un petit
groupe autour d'une bouteille de champagne
sous prétexte de fêter mon
arrivée au club et, plus largement,
mon installation dans le chef-lieu auvergnat.
Je mettais ce fait au compte du tempérament
montagnard que j'imaginais plus froid,
plus distant, mais j'aurais vraiment dû
rester sur mes gardes. Le vice et le crime
s'étalaient sous mes yeux durant
la journée, mais, le soir, ils
ne franchissaient pas la porte du gymnase
; j'entrais dans un monde que j'imaginais
pur, chevaleresque, aux valeurs affirmées,
héritées d'une longue tradition,
où seul le mérite permet
d'avancer, dans le respect de l'autre,
même si le but final du combat est
bien d'annihiler l'adversaire.
Un soir, je suis convié à
finir la soirée chez un homme de
loi. Sur le moment, je n'ai pas très
bien compris en quoi consistait exactement
son activité. Pas avocat, peut-être
avoué, ou bien huissier. J'imagine
plutôt qu'il pouvait exercer une
profession en rapport avec l'art, commissaire
priseur ou galeriste expert, car le prétexte
à notre rencontre concernait la
civilisation italienne, et en particulier,
mon goût pour l'architecture et
la peinture qu'il partageait.
Il avait fallu laisser nos véhicules
place de la cathédrale. En infraction,
il faut bien l'avouer.
- Tu nous feras sauter les contredanses,
avait plaisanté le camarade, prénommé
Romain, qui m'avait entraîné
à participer à cette fin
de soirée.
Mon secret avait été vite
percé, et j'avais beau protester
de mon incompétence en matière
de police municipale, l'affaire était
considérée par les autres
comme entendue.
Romain, un peu plus jeune que moi, devait
friser la quarantaine. Un physique athlétique
servi par son visage jovial aux traits
réguliers, sa voix forte, chaleureuse,
lui donnaient le charisme du personnage
qui, en société, ne passe
jamais inaperçu.
Il nous avait entraînés par
un dédale de ruelles sombres, jusqu'à
une porte cochère imposante, en
bois sculpté qui avait conservé
depuis l'époque des voitures hippomobiles,
deux arcs de cercle métalliques
protecteurs, fichés dans la pierre
à droite et à gauche, au
ras du sol. Après quelques mètres
de couloir pavé assimilable à
un tunnel, je me retrouvai confronté
à un luxe, une élégance
architecturale, inimaginables de l'extérieur.
Ce vénérable hôtel
particulier paraissait dater du dix-septième
siècle.
Je me suis attardé un instant pour
observer l'élégance solide
de l'édifice, les fenêtres
ouvragées, au linteau sculpté
en forme de fronton dans la lave sombre,
ce qui, pour une cour intérieure,
m'apparut remarquable, mais Romain se
montra impatient, en me regardant moi,
froidement.
Je discernais bien le caractère
artificiel de notre relation qui ne s'apparentait
que de loin à une véritable
amitié. Mais l'atmosphère
enjouée, dynamique, issue du milieu
sportif, m'entraînait.
Nous pénétrâmes dans
l'immeuble, puis montâmes jusqu'à
l'appartement, à l'étage.
Le vestibule, tapissé chaudement,
présentait au premier regard, sous
un éclairage tamisé, un
cadre à moulures dorées
contenant La Joconde. Aussi vraie que
l'original. Le maître de maison
m'accueillit par une poignée de
main se voulant chaleureuse, longue, qui
parut accompagner mon regard en direction
du tableau.
- Vous aimez ? demanda-t-il
- Magnifique, très belle copie.
- Ce n'est pas une copie, dit l'homme
sans sourire le moins du monde.
Je me sentis en capacité d'ajouter,
croyant détendre l'atmosphère
:
- Vous êtes un fameux pince-sans-rire.
/..
4
Au pied de la tour Jacquemart
Quelque temps plus tard, nous partîmes,
Romain, moi et quelques autres, pour une
compétition à Moulins. Je
n'avais pas eu l'occasion de revoir le
chef-lieu bourbonnais depuis plusieurs
années et j'eus plaisir, le soir,
vite venu car c'était l'automne,
à parcourir de nouveau la place
et la rue d'Allier, puis à apercevoir
le Jacquemart et son environnement médiéval,
tandis que nous cherchions, à la
nuit tombée un endroit où
nous restaurer.
Nous avions bien guerroyé, en toute
amitié sportive, contre un groupe
moulinois. Nous étions sortis vainqueurs
de la rencontre, mais, comme nos adversaires
avaient proposé un dîner
en commun, nous nous appliquions, par
égards envers eux, à ne
pas montrer une joie exubérante
pour notre victoire. Cet apprentissage
forcé de la modestie, au fond,
n'était pas une mauvaise chose.
Nous avons donc partagé un dîner
dans l'environnement pittoresque d'un
immeuble moyenâgeux au pied de la
tour Jacquemart. Entièrement rénovée,
la salle de restaurant, à l'étage,
se signalait par d'étroites fenêtres
qui filtraient les lumières de
la ville au travers des carrés
opaques de leurs vitres. Les marches de
l'escalier avaient craqué, juste
assez pour rappeler le caractère
des lieux, sans inquiéter quant
à la solidité du bâtiment,
contrairement à l'assertion un
peu stupide d'un de nos équipiers.
/..
Intermède
Quelque
temps plus tard, je suis face à
mes promesses. Après un bref passage
à notre hôtel en périphérie
de la ville et un repas léger dans
un restaurant de chaîne voisin,
nous voici installés dans une salle
de spectacle à la Maison de la
Culture de Bourges. Ambiance années
soixante ; pour ce qui est de l'architecture.
Je préfère le gothique et
le Renaissance omniprésents dans
la ville, qui en constituent pour moi
le principal attrait, mais mon épouse
Jeanine est heureuse. Bien que j'aie entendu
maintes fois les airs de Bizet, au point
d'avoir l'impression de rabâcher,
je m'abandonne peu à peu à
son contexte, me laisse distraire par
le mouvement de la scène, reste
sous la séduction de la qualité
des voix. En définitive, je passe
une agréable soirée.
Le lendemain, je reçois ma récompense
: une parenthèse d'élégance
dans le parc de la cathédrale,
de beauté à l'intérieur
de l'édifice même. Un souffle
d'orgue anoblit la nef de ses harmonies.
Je m'assois. Le regard s'élève,
inéluctablement, au-dessus du chur,
jusqu'aux vitraux. Ensuite la vision capte
l'ensemble architectural, puis s'élève
le long des piliers gothiques. Je ne pense
pas, je ne réfléchis plus.
La contemplation apaise. L'âme s'imprègne
de spiritualité. Même si
celle-ci n'a rien de religieux. Tout à
coup Jeanine apparaît, ayant terminé
le tour du périmètre. Elle
a porté son attention aux chapelles,
détaillé les statues, admiré
les tableaux.
En sortant de la cathédrale, je
replonge dans le réel. Il me faut
trouver une cabine téléphonique
pour appeler Romain. ../
Proche
du dénouement
Et
nous voici repartis dans la nuit, nantis
à nouveau de nos armes. La route
est longue dans la nuit. Nous traversons
Riom, puis Gannat. Je reconnais le clocher
de Saint-Pourçain-sur-Sioule. Et
on s'engage en direction de Varennes.
Je suis en pays connu. Pourquoi Romain
a-t-il fait tant le mystérieux
quant à notre destination ? A-t-il
voulu se dédouaner par anticipation
de l'accusation d'avoir " donné
" Boumaza ? Et d'être arrivé
là sous la contrainte ? Peu importe.
Nous traversons Chazeuil endormi et bifurquons
sur la gauche à l'entrée
de la ville, dans une succession sinueuse
de chemins de campagne pour arriver devant
un bosquet tout près de l'agglomération,
lequel dissimule une villa ancienne que
je connais bien : la " Maison Olivier
". C'est le nom de son propriétaire
initial, semi-châtelain du premier
vingtième siècle. Le langage
populaire en désignant la demeure
du nom de son propriétaire, lui
a conféré un statut de maison
bourgeoise. Elle le mérite, solide,
large, elle s'étale sur deux niveaux
sans compter les chambres de bonne mansardées.
Le parc qui l'entoure est magnifique.
Je l'ai souvent entrevu en passant devant
l'entrée. Mais ce soir, d'impressionnantes
haies doublent le mur d'enceinte et un
portail hermétique masque la propriété.
Nous rangeons la voiture au ras de la
clôture et nous présentons
au portail. Romain sonne. Aucune réponse.
Sur notre injonction, il insiste. Enfin,
une voix grésille dans l'interphone.
Romain explique la situation. L'autre
renâcle. Romain dit qu'il y a urgence.
Puis, tout à coup, l'interphone
explose :
- Espèce de salope, tu m'as donné
!
Romain nie. Je m'approche, je dis :
- Police, ouvrez !
Boumaza réplique :
- Pas question. Revenez à l'heure
légale et avec un mandat. ../
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