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L'Empire
en vacances
Que cherche le narrateur
le long des ruelles escarpées de
Portoferraio autour des lieux fréquentés
jadis par Napoléon?
L'île d'Elbe en été
: l'arrière-saison, peu à
peu, décale le lecteur et le plonge
dans un passé flamboyant.
Août 1814, parenthèse entre
les tourmentes guerrières. L'île
fourmille d'espions. Alors le secret est
de mise. Camille et Ludmilla, deux jeunes
tourtereaux, nous font pénétrer
dans les coulisses des frasques sentimentales
de l'Empereur.
Les
diamants de Pauline
Un navire accoste à
Portoferraio le 1er juin 1814. Une grande
et belle dame est à son bord. Accompagnée
d'un officier napolitain. Celui-ci nous
livre son histoire sous la république
et plus récemment sa recherche
aventureuse des diamants de la princesse
Pauline qui vont avoir une importance
historique en ces temps difficiles pour
Napoléon et les siens.




EXTRAITS
LEmpire
en vacances
Je suis descendu sur cette
côte comme un touriste
ordinaire. Sans doute par crainte de me
révéler à moimême
un romantisme un peu désuet, joccultai
le but réel
de ma visite sous une désinvolture
que jimaginais
inaliénable. Javais toutefois
limpression de pénétrer
par
effraction en un lieu resté secret
à lhorizon de mon
souvenir. Un temps infini sétait
écoulé depuis lépoque
où
japercevais presque chaque matin
un dense triangle
montagneux en avant-scène dune
aube magique sur la
mer. Je scrutais, discernais même
à la longue-vue les signes
dune présence humaine, mais
toujours lîle sétait
refermée
sur son mystère, lointaine, pudique
et voilée. Que de fois,
ayant quitté ces lieux, navait-elle
surgi dans mon rêve,
miraculeusement rapprochée ; une
brume épaisse se levait
et elle me révélait un port,
des maisons, des falaises. Puis
ma vue se troublait à son jeu de
disparition et irréel retour.
Tout maintenant avait été
différent. Dès lapproche,
depuis le pont du navire, par une claire
matinée de fin dété.
Les premières falaises, arrondies
et vêtues de maquis,
plongeant lalternance contrastée
de leurs doigts rocheux
dans une eau calme, annonçaient
des lieux paisibles et
accueillants. Impression confirmée
à lamarrage du ferry.
Les deux forts rougeoyaient sous les réverbérations
des
toits de la ville. Portoferraio, le «
port du fer », avait
définitivement perdu un quelconque
vestige de lactivité
liée à lextraction
minière. Un monocoque traversait
la
rade au moteur, voile dépliée
et plate, impatient des
premiers souffles du large. Plusieurs
barques, amarrées à
leur bouée. Et un immense voilier
milliardaire pointant ses
cinq mâts vers le ciel.
/...
Il
faut se représenter une île
peuplée de 13000 habitants, et
le petit centre, Portoferraio, envahis,
maintenant que l'été est
arrivé, par mille soldats napoléoniens.
Ceux-ci ont été cantonnés,
principalement, dans les forts sur les
hauteurs de la ville. Plusieurs nationalités
sont représentées, des Français,
mais aussi des Polonais, des Italiens,
le bataillon corse et encore des Mameluks,
du moins quant à l'uniforme. La
troupe se ressent des dernières
campagnes, les tenues ne sont plus chamarrées,
ternies qu'elles furent par les glaces
de Russie. Aucune industrie n'est là
pour les rénover. Mais tout radoubés,
recousus qu'ils soient, les grenadiers
se sont remis au service de leur Empereur.
La principauté, en paix, si l'on
excepte les rares incursions des pirates,
est en fête. Comment retenir à
l'ombre insalubre des épaisses
murailles une troupe de fidèles,
une troupe en vacances ? Pas des soudards,
mais quelques verres pour le moral, et
les chants, les appels, les cris. Au point
que Napoléon s'enfuit le plus souvent
à la campagne.
Mais ce soir, la Villa dei Mulini participe
au vacarme. Car il y a fête en ce
19 août 1814. La longue salle attenante
au palais, fenêtres et portes grandes
ouvertes, résonne des flonflons
de l'orchestre qui offre valses endiablées
ou mazurkas et polkas légèrement
lancinantes, aux uniformes encore brillants
des officiers supérieurs et aux
robes longues des élégantes
de la société insulaire.
La joie s'étend au jardin où
l'on boit et grignote, et même aux
terrasses alors que la brise marine agrémente
les évolutions de plusieurs couples.
On sait que demain l'Empereur et Madame
Mère quittent la ville pour des
villégiatures rupestres, aussi
ce soir, apogée de l'été
dans la capitale, laisse-t-on s'exprimer
les tempéraments. Devant la résidence,
badauds, soldats et filles dansent sur
les échos mourants des mélodies.
Plus bas, dans les ruelles, les voix,
les chants les remplacent.
/...
Lorsque
Camille survient, la jeune fille refuse
la nouvelle nuit
de folie quil espérait. Et
tous les deux sen vont sasseoir
sur
un plot près des voiliers en rade.
Ludmilla raconte par bribes et
mimes sa fin de soirée chez le
général. En bon français,
le récit
qui parcourra les casernes serait :
Le capitaine a dit : « Son
amie ! Vous avez vu ce toupet.
Cela mérite une punition exemplaire.
»
Le général a souri
: « Ce caporal a-t-il manqué
de respect ?
Commis une faute ? La hiérarchie
militaire ne doit exercer sa
rigueur que dans le but de gagner les
guerres. Tous les hommes
sont égaux face aux batailles du
coeur, enfin presque, et se
tournant vers Ludmilla, ce sont ces dames
qui en décident. »
/...
Les
diamants de Pauline
1er
juin 1814. Une femme d'une saisissante
beauté attend, enfermée
depuis deux jours dans sa luxueuse cabine
à bord d'une frégate. Cédant
enfin à l'invitation d'un officier,
elle accepte de se rendre sur le pont,
gravit une à une les marches, frileuse
sous plusieurs voiles blancs, cheveux
serrés dans un inattendu foulard
créole orangé. Surprise,
elle porte une main en visière
à son front. Le soleil inonde la
rade de Portoferraio où la Letizia
a jeté l'ancre. La jeune femme
s'offre à lui nonchalamment. Elle
se dépouille d'un puis deux des
voiles transparents qui masquaient à
peine la perfection de son corps. L'officier
s'est immobilisé quelques pas derrière
elle, mains unies, légèrement
incliné. Plusieurs marins détournent
le regard, un instant subjugués
par un contre-jour fantomatique. Mais
la statue s'anime, lève un bras
puis l'autre, en incantation à
l'astre, insouciante si son voile transparent
révèle sans retenue le galbe
de son sein, la cambrure des reins. La
beauté de son corps n'est-elle
la meilleure arme pour séduire
cette île où la tempête
l'a jetée ?
L'homme, attentif, sent qu'elle lui échappe
déjà, prête à
se donner à un nouvel amant. Il
se voit avancer fermement, la prendre
publiquement dans ses bras... alors un
souffle plus appuyé de la brise
lui fige le visage et l'âme. Officier
subalterne, il n'a été qu'un
jouet entre les mains de la divine créature,
le temps d'une traversée. Amour
éminent, inespéré.
Trop élevé...
Tentation d'abîme, à ses
pieds au-delà du bastingage. L'angoisse
étreint sa poitrine, il chancelle.
Des images s'enchaînent, en désordre,
à sa mémoire. Temps forts
d'une vie aventureuse que les vicissitudes
de l'Histoire ont emplie d'infortune après
avoir suggéré un destin
exceptionnel.
Quinze ans plus tôt. Au service
de la République. Il était
arrivé à 19 ans de son village
natal de Campanie dans la capitale parthénopéenne.
Attiré comme d'autres, par le nouvel
état des choses : Liberté,
Egalité proclamaient les blasons.
Les Bourbons rejetés en Sicile,
tout semblait possible. Que faire ? Les
troupes françaises protégeaient
la ville. Le plus simple : s'engager.
Au milieu de la file d'attente étirée
dans une rue, un officier le remarque
:
/...
Pietro frappa fort d'entrée en
présentant aux gardes suisses du
Vatican son sauf-conduit. Le sceau royal
produisit son effet, l'introduisant comme
un ambassadeur. On le guida par des couloirs
immenses jusqu'au père Tolomei.
Pietro magnifia la récente amitié
qui le liait au frère de son interlocuteur,
évoqua la reine Caroline, alliée
de la coalition, qui souhaitait se rapprocher
de Dieu, et il prit encore sur lui d'affirmer
qu'elle l'avait chargé de saluer
de sa part la hiérarchie vaticane.
Au fil de la péroraison le visage
du prêtre s'était ouvert
à un large sourire.
" Attendez-moi un instant ! "
avait-il dit en s'éclipsant dans
un dédale de bureaux grandioses
à l'ambiance feutrée. Pietro
eut le temps de réfléchir
aux paroles qu'il faudrait prononcer.
Bartolo Tolomei revint enfin, lui annonça
qu'on allait le recevoir, et le conduisit
dans une autre pièce. La richesse
des boiseries, la couleur violette des
liserés et boutons de soutane indiquaient
l'importance du maître des lieux.
Monsignor Pozzi, grisonnant, onctueux,
se leva, laissant apparaître une
ceinture également violette qui
entourait un abdomen arrondi. Il s'approcha,
tendit la main à Pietro qui s'était
incliné.
L'évêque invita son visiteur
à s'asseoir. Celui-ci exhiba de
nouveau le billet frappé de la
marque royale et fut étonné
de s'entendre appeler " Son Excellence
" par l'évêque, auquel
il répondit par des titres tout
aussi ronronnants. Peu au fait des subtilités
diplomatiques, Pietro était assez
perspicace pour saisir que représenter
Joaquim et Caroline Murat qui avaient
su prendre le vent de l'Histoire, donnait
un réel avantage. Il brossa de
nouveau la fresque illustrant la foi de
la reine, son désir de rapprochement
avec l'Eglise (il ne ressentait pas vraiment
d'inquiétude pour ces initiatives
car lorsque l'écho en parviendrait
à Naples, il aurait rempli avec
succès sa mission depuis longtemps).
Monsignor Pozzi répondit que la
curie vaticane serait extrêmement
sensible à un tel message, cependant
le Saint Père se trouvait absent
de Rome. L'éventuel soutien d'un
Etat aussi important que le royaume de
Naples serait d'un grand poids pour inciter
les alliés à restaurer le
pape dans son autorité temporelle.
Tous ces points seraient référés
à Pie VII. Que " Son Excellence,
Monsieur le Capitaine " transmette
l'amitié et la bénédiction
de l'Eglise aux souverains et au peuple
napolitains.
/...
Lorsque la Letizia
lèvera l'ancre, le ciel bleu, une
mer d'huile enlumineront le retour vers
Naples. Dès que le navire aura
quitté la baie de Portoferraio,
Pauline ne craindra pas de partager chaque
instant avec le beau Pietro Martino.
Depuis les cabines jusqu'au pont elle
aime sa présence rassurante. Ils
observent ensemble la ligne irrégulière
mais douce des crêtes continentales,
les profils saillants des îles et
îlots. Elle le félicite et
remercie de nouveau, souligne l'importance
des services rendus et leur utilité
pour l'Empereur lui-même.
L'horizon, en fête vers le sud,
les fascine.
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