VARENNES...
EN TOUTE SIMPLICITE
Petit
abécédaire de souvenirs
bourbonnais
Après
la parution de SI MON BOURBONNAIS
VOUS ETAIT CONTE en 1997, stimulé
sans doute par des publications de
photos anciennes,
il m'est venu le goût d'évoquer
d'autres souvenirs de jeunesse, de
citer les personnes connues autrefois
et souvent disparues. J'ai donné
des noms propres dans le seul souci
de fixer la mémoire.
L'alphabet sert de fil conducteur.
CF
10 € © Editions Scalea 2006
ISBN : 978-2-9504430-7-6
LES
EXTRAITS:
(...)
B
comme... boucherie.
Curieux, ce mot me venant à
l'esprit pour illustrer la lettre
B. Mes familiers diraient que je suis
quasiment végétarien
tant il est difficile de
me faire manger de la viande. C'est
sans doute le souvenir d'une époque,
celle de l'après-guerre où
finissaient les privations et où
se dessinait une
société lancée
vers le progrès et l'accès
au bien-être dont le premier
degré est le bien manger. Je
n'oublie pas non plus que Varennes
est au coeur
d'une région d'élevage,
mais on pensait, on disait que rare
était la bonne viande qui partait
alimenter les marchés parisiens.
Symbole de l'évolution du petit
commerce: la quasi disparition de
la boucherie, qu'on trouve en revanche
comme rayon de supermarché.
Une
boucherie et une charcuterie ont survécu
au
centre ville de Varennes-sur-Allier.
Autrefois, on s'approvisionnait chez
M.Barnabé, grand-rue, à
la "coopérative"
rue Antoine Fayard, émigrée
grand-rue et remplacée par
la boucherie Edié. Il y avait
aussi la boucherie Faure, père,
puis fils. Jean, que j'ai bien connu
comme
président de club de tennis
de table. Homme très populaire
dans la cité, plusieurs fois
plébiscité lors des
élections municipales. Côté
charcuterie les délicieux saucissons
cuits Hamet avaient succédé
à ceux de M. Faivre.
Tandis qu'à Vouroux, une belle
enseigne de M. Ravasy invitait à
déguster le "sanglier
des Ardennes".
Rubrique anecdotes tragiques, le décès
accidentel de deux de ces commerçants,
M. Barnabé, tombé de
son cerisier, M. Faivre, victime
d'une collision automobile à
Beaupuy.
(...)
D
comme ... deux roues
Je décris à la lettre
V l'époque où la «
petite reine» régnait
sans partage dans les rues de nos
cités.
Les années 50 et 60 virent
l'apparition duvélomoteur.
Il s'agissait, à l'origine,
réellement, d'un petit moteur
greffé sur le pédalier
d'un vélo, alors que le porte-bagage
arrière supportait le réservoir.
J'ai souvenir du récit d'un
oncle qui
avait traversé la Normandie
avec un tel attirail, tout en tractant
son épouse restée à
bicyclette à l'aide d'une corde.
Quel progrès! Quel soulagement!
Juste un petit soutien musculaire
à apporter dans les montées.
Puis il y eut le vélosolex
bien connu, avec son moteur antérieur,
pratique mais parfois pernicieux.
Le plus grand succès fut celui
de la marque «Mobylette »,
au point que ce terme devint nom commun.
Elle était bleu ciel. Un minuscule
coffre
ovale à la capsule chromée
sous la selle, répondant à
l'inscription sur le carter, tranchait
la couleur.
J'en ai possédé une.
Bienfait posthume de ma mère
dont le décès m'avait
ouvert les droits à une bourse
d'étudiant avec rappel. Fourche
avant
télescopique, mais non pas
à l'arrière comme dans
les modèles plus perfectionnés.
Je fis d'innombrables sorties sur
cet engin qui roulait en pointe à
55 km heure. Et même plusieurs
voyages, Clermont, bien sûr,
mais aussi le Sud-ouest, après
un premier trajet en train jusqu'à
Bordeaux. Je me
rappelle très bien la traversée
des Landes sous la pluie et surtout
une magnifique visite en Espagne,
sur les hauteurs de San Sebastian,
paysages somptueux contemplés
en toute liberté.
Mon frère, lui, s'était
rendu de manière identique,
plusieurs années auparavant
dans les Alpes chez son vieux copain
Louis Péronnet et son épouse,
qui avait gardé pour nous depuis
sa jeunesse, le « vers l'en
» de son prénom : Zouil.
Mais avant de posséder une
mobylette, j'avais testé rue
Jules Dupré, le long de l'école
un modèle prestigieux, bas,
avec une longue selle, grâce
à Kiki Puravet, généreux
et, pour nous, aisé, par son
salaire des cimenteries Dupuis. Un
régal!
Mais que d'années de patience
et fatigue au pédalage avant
de réaliser ce rêve!
(...)
H
comme... horizon
J'ai toujours gardé un cahier
d'écolier de la rentrée
de 1950, ou l'on voit qu'élèves
de ma mère, nous étions
montés à Beaupuy ( le
bien nommé ), admirer l'horizon.
( Peut-être avionsnous observé
d'autres éléments naturels
au cours de cette « leçon
de choses » directe, mais c'est
ce qui m'avait marqué et s'était
retrouvé dessiné dans
mon cahier. On imagine parfois que
la sortie
promenade est une perte de temps,
voici bien la preuve du contraire!)
De Beaupuy on domine la ville, et
par beau temps on embrasse la vallée
de l'Allier, non pas dans ses détails,
mais globalement, et surtout apparaît
son horizon montagneux. Tapi à
l'ouest, le triangle sombre des Combrailles
; vers le sud, la chaîne des
puys, légère et fine,
dessinée - à contrezoom
de ce que l'on découvre depuis
Gannat ou Aigueperse - au ras du ciel.
Au sud-est, la masse
compacte et sombre de la montagne
bourbonnaise, Bois Noirs et Madeleine.
On ne peut habiter Varennes sans être
marqué par ces images. L'horizon
est souvent masqué mais toujours
prêt à surgir au sortir
d'un virage, derrière un arbre
ou une maison. Il surprend et enchante.
(...)
L
comme... lait
Le laitier passait tous les matins.
M. Devaux.
Dont un homonyme était tonnelier
au Frâgne (son fils, «Dédé»,
prendrait la succession de l'épicerie).
Il disposait de grands bidons en aluminium,
hauts comme des amphores, fermés
par un couvercle rond et creux traversé
d'une tige en guise de poignée,
dont les pots individuels étaient
une exacte réplique en modèle
réduit. Chaque client déposait
son récipient sur le seuil
du domicile et le laitier venait,
tôt le matin, et
remplissait. A l'identique de ce qu'on
voit dans les vieux films anglo-saxons
ou de ce que j'ai pu lire dans les
textes italiens, à la différence
d'une bouteille en verre qui remplaçait
le pot en aluminium.
Ensuite, un grand verre de lait frais
pour tenir le coup jusqu'à
midi !
S'il arrivait malheur aux pots ou
aux cuvettes, on avait recours au
rétameur qui
apparaissait de temps à autre
; il était aussi sans doute
affûteur de couteaux et ciseaux.
« Etre rétamé
», si l'on en croit l'expression
argotique, ne devait tout de même
pas remettre à neuf !
On voyait également venir le
matelassier qui extirpait la laine,
la décompressait à l'aide
d'un balancier à clous avant
de reconstituer la
literie.
De quoi divertir les enfants...
(...)
M
comme... menuisier
J'ai bien connu M. Dumiel, partenaire
deboule lyonnaise et aussi intervenant
extérieur au Cours Complémentaire.
Homme calme, réservé,
précis, il avait gardé
malgré un âge avancé,
une certaine adresse y compris au
tir qu'il pratiquait encore lorsque
c'était indispensable et qu'on
le lui
demandait. Sans doute était-il
en retraite. Cependant il n'apparaissait
pratiquement jamais sans sa tenue
de menuisier. Casquette large, protectrice
contre poussières et sciures,
salopette bleue très propre,
neuve quasiment, montrant bien son
attachement à son ancien métier
qu' il pratiquait
sans doute encore un peu.
Il a tenté de m'enseigner ainsi
qu'à d'autres guère
plus doués, l'art de la mortaise.
Je crois que nous étions déjà
instinctivement dans l'attente de
la société de consommation,
peu enclins à la patience,
à la précision, à
la perte de temps.
Néanmoins cet éveil
aux travaux manuels a été
précieux et m'a donné
le goût de résoudre lesp
etits problèmes matériels
de la vie courante, avec l'aide naturellement
de toute la technologie moderne, panneaux
coupés, colles chaudes, équerres...etc.
J'avais aussi appris avec M. Blanchon
à travailler le contre-plaqué
avec un serre-joint et une fine scie
à découper dans le but
de créer des
meubles miniatures.
Il est enfin un autre travail manuel
qui m'a beaucoup marqué : la
reliure, apprise avec M.Dévaux.
Là non plus, on ne prend guère
le temps aujourd'hui de coudre des
feuillets, coller des cartons, composer
une couverture ; tout est rapide,
un trait de scie bourré de
colle chaude pour un brochage solide,
et le tour est joué.
Ces activités ont été
formatrices. Certes de moindre importance
que l'éducation scolaire et
intellectuelle, impalpable, difficile
à évaluer, sujette à
des réactions subjectives.
Elles ont stimulé un aspect
important de ma personnalité
:le goût du concret, de la création.
Car j'ose affirmer que le bricolage
est fécond et innovant : résoudre
une difficulté par une trouvaille,
une astuce, est,
au risque de paraître grandiloquent,
démarche emplie de noblesse.
(...)
S
comme... silence
Autre caractéristique des années
cinquante. Pour moi, ce sont les séjours
au Donjon chez ma grand-mère
qui suggèrent fortement cette
dimension de la vie d'autrefois. Que
je regrettais! Le tic-tac de la pendule
rythmant la soirée. Un regard
à la fenêtre, derrière
le rideau, lorsque circulait un piéton
ou un rare véhicule. Il ne
se passait jamais rien. Pas même
une radio. Seule distraction : le
journal ou un livre, et, naturellement,
la conversation quotidienne.
Varennes, l'Ecole, et pendant les
vacances, sa cour, constituaient un
attrait irrésistible. Je m'y
trouvais bien. Les jeux, les appels
d'enfants en étant la seule
animation, rompaient la monotonie
des journées. Nous jouions
calmement, ma voisine Danièle
Martin, fille du secrétaire
de mairie et moi, lorsque nous étions
petits. Avec d'autres enfants. Apparaissaient
des poupées pour les filles,
un bébé. On jouait «
au papa et à la maman, au docteur
», puis il y eut le tipi de
la vie familiale des Indiens. Avec
d'autres camarades du quartier, tel
Jojo Thain ou bien les garçons
de la « rue du quatre »,
comme Jean-Yves Davaud, Bernard Courtaudon
ou Jean-Jacques Boivineau, nous nous
animions en Robins des bois avec des
épées et des arcs de
notre confection (nous passions sans
doute plus de temps à bricoler
des branches de saule qu'à
jouer). Pour les «gendarmes
et les voleurs, » c'étaient
des courses effrénées.
Si on jouait «aux
cow-boys et aux Indiens, » apparaissaient
des pistolets et fusils à flèches,
dans la cour ou à travers les
piles de bois entreposé du
Consortium de fabriques, avec comme
nuisance sonore, le seul déclic
du ressort libérant la flèche.
Parfois une amorce ou un pétard
pouvaient troubler la quiétude
des lieux, mais on arrivait vite au
bout de la petite réserve que
le maigre argent de poche avait pu
constituer.
On connaissait aussi le calme des
divers jeux de billes.
Côté son, à part
la radio fixe du logis ou le phonographe
sorti exceptionnellement pour un 78
tours, on ne percevait que la musique
que l'on
jouait soi-même.
Nul bruit de moteur.
Le piaillement des martinets tournoyant
au dessus des marronniers, amplifié
par la caisse de résonance
des bâtiments vides. Il s'en
manquait de peu qu'on ne se plaigne
parce que notre tranquillité
en était troublée !
(...)
Y
comme ...
...les petites fourches coupées
dans du bois de saule que l'on utilisait
pour caler les cannes à pêche.
Les enfants ficelaient à des
fourches semblables des lanières
découpées dans le caoutchouc
d'une chambre à air, et cela
constituait
un lance-pierre, en réalité
lance caillou peu précis que
la main qui tient le bois doit abaisser
juste après avoir décoché
la catapulte. Certains les dirigeaient
stupidement contre les oiseaux. Heureusement
sans grand résultat.On pouvait
découper d'autres petits jouets
dans le bois de saule. Le moulin qui
tourne sur
l'eau du ruisseau. Ou le sifflet plus
délicat à ciseler. Minutieux,
le retrait de l'écorce après
une fente circulaire et le décollage
en tapotant avec le manche du couteau.On
le trempait dans l'eau et quand retentissaient
les premiers sons: génial !