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Réédition 2018 :

1ère édition :

 


«Pourquoi Jean Dalcin vivait-il dans la certitude que l'Italie était son vrai pays ? Pour quelle obscure raison ne pouvait-il se contenter de la vie douillette et sûre que ses parents immigrés lui avaient procurée dans le Sud-ouest de la France? De quel tourment avait-il à se plaindre? Le mal à vivre, les égratignures morales faisaient basculer sa vie. Mais la Sicile, son tourbillon redoutable et sanglant, ne tarderaient pas mettre à mal ses illusions. La mort guettait au détour du chemin.»

ACTION, DANGER au coeur de la ville de Palerme

...Mes ennuis avaient commencé quelques jours auparavant; pour un regard imprudent, un simple regard. Quel gâchis!

Un double pointillé de détonations avait déchiré la nuit. J'avais repoussé la clé de porte d'entrée au fond de ma poche, m'étais précipité dans un réflexe bête (réflexe bien français) , vers le parapet qui domine la petite place sombre où je garais ma voiture. Je m'étais penché; on distinguait à peine les silhouettes: un corps allongé, dans l'ultime soubresaut, perdant son sang, et l'assassin, homme jeune qui bondissait sur une énorme moto pilotée par un impénétrable personnage casqué.

Instinctivement, je m'approche du chemin piétonnier que j'emprunte chaque jour, au moment où le passager enfile Kalashnikov et cagoule dans un sac profond. Je vois, je vois distinctement les traits de son visage à 5 m en dessous de moi dans le ballet lumineux d'une voiture qui tourne le long du parking. Impossible à oublier, brun, criblé. Tête de tueur. Il m'a vu lui aussi. Une tape au dos du pilote, un signe dans ma direction, le sac retiré de l'épaule. Je fuis à toutes jambes, saisis ma clef. Leur moteur rugit sur l'abrupt du sentier; les vaches, ils ont une tout terrain. Je farfouille dans la serrure, panique, entrevois la Kalashnikov empoignée à même le sac...........................................


A la porte d'un immeuble luxueux, je m'annonce en français.

Peu après, une fille aux longs cheveux blonds m'accueille avec un sourire interrogateur. D'une main elle resserre le décolleté de son peignoir.

" Je passais dans le quartier, j'ai eu envie de te voir. "

Sous les lueurs laiteuses de l'entrée, elle m'observe, silencieuse.

Alors je bafouille quelque chose à propos de mes ennuis. Un éclair enflamme son regard. Soudain, elle se replie derrière un mutisme impitoyable.

Désarmé, j'essaie de rattraper:

" Non, non, je plaisantais. "

Nous nous asseyons dans le canapé, et son visage est adouci par l'intimité rougeoyante du salon.

" Tu as du whisky? " dis-je en posant ma main sur son avant-bras.

Elle me regarde droit au fond des yeux, rieuse, soulève ma main, agit comme sur un levier.............................


L'autobus descend la via Libertà dans la pâleur du petit matin. Je ressens une curieuse sensation de vulnérabilité. Pourquoi me suis-je installé au fond du couloir ? Toutes ces vitres dans mon dos...

Brusquement, je me lève ; je remonte le couloir central et m'accroche à une barre verticale. Debout, encastré dans la rangée de sièges, je balaie du regard le véhicule entier.

La mamma à côté de qui j'étais assis a suivi tous mes gestes. Elle me fixe tandis que je caresse mon menton rugueux. Je me sens poussiéreux, fripé. D'autres personnes m'ont observé un instant. Regards durs, hostiles.........................."


Compr A A A A te, compr A A A A te. " Les ambulants, plaintifs, poussent à l'achat, redonnent à la ville décence et sympathique exubérance. J'ouvre ma fenêtre. Le coupe-gorge d'hier soir, le quartier chaud, s'est métamorphosé en parc à triporteurs ensevelis sous des montagnes d'articles ménagers, objets en plastique. Un vendeur acrobate s'est encastré les épaules dans une pyramide de chaises maintenue en équilibre tandis qu'il marche et clame sa publicité. L'âne et son pompon, tirant une charrette d'agrumes, ont la préférence attendrie des ménagères.

" Artichauts, fenouil, les plus beaux de Sicile, compr A A A A te. "

Au consulat, je reçois une visite attendue.

" Vous parlez italien à ce qu'on m'a dit, mais si vous souhaitez la présence d'un interprète... "

L'inspecteur Malapena refuse le siège que je lui propose et marche de long en large autour de mon bureau. " Vous vous cachez depuis deux jours! " lance-t-il rudement, les poings sur les hanches. Son visage............................

Elle s'appuyait au bastingage. Blonde parfaite aux traits nets. Se tenant de trois-quarts, elle relevait légèrement la tête pour capter les derniers rayons d'un soleil déclinant derrière les montagnes de Sicile.

Des mâles chauffeurs commençaient à s'approcher, conquérants.

" Avec les Suédoises tu baises d'abord, tu causes ensuite. "

La phrase n'était pas nouvelle et je ne fus pas particulièrement surpris lorsqu'un frisé, brun et râblé, à tête de violeur, lui entoura d'un bras les épaules: " Chérie, darling, love con mi. "..............................


" Vous fumez? Prego. Avec votre permission. "

En un instant l'homme s'est introduit à notre table, le bras prolongé d'un paquet d'immenses cigarettes.

" Elles sont très bonnes, très douces, " sourit-il, enjôleur.

J'ébauche un geste de refus mais Ingrid a déjà saisi une double longueur et l'autre se penche vers elle, tend son briquet tout en protégeant la flamme de sa main gauche. Il s'est assis auprès d'elle, en face de moi.

" Excusez mon intrusion. Vous savez, nous autres Siciliens, nous aimons les étrangers. Et puis nos traditions d'hospitalité...

- Naturellement, je vous en prie, " ai-je répliqué dans mon meilleur italien. Mais je ne l'ai pas découragé.

Il continue, tourné vers elle, dans un mélange de langues:

" Vous aimez? Regardez, sur le paquet...

- Vous êtes allé en Russie? "

Ingrid le regarde, visage grave.

" Tutoyez-moi! Mon prénom est Filippo. "

Elle lui répond d'un mouvement de lèvres qui ressemble à un sourire. Il est jeune. Pas très beau; pas le type sicilien marqué.

" Non, non. Pas moi. Mais j'ai des amis siciliens à qui il arrive d'y aller. "

Ingrid a décicément la passion des voyages. La voici qui l'incite par ses questions. Le port. L'activité. Les mouvements maritimes. Les marins. Je dois feindre l'intérêt, moi aussi.

Insensiblement, il s'est rapproché. Il parle en gesticulant, tisse sa toile autour d'elle, l'enveloppe dans ses bavardages. Je ne la crois pas très sensible à ce déploiement de séduction. Son visage reste imperméable. Mais l'autre, s'enflammant de sa propre attitude, se grisant des mots et des phrases qu'il prononce, se croyant irrésistible, est venu se coller à elle. Je l'aperçois qui tente de presser sa jambe contre celle d'Ingrid. Alors, elle recule sa chaise, et par petits sauts successifs, vient se blottir contre moi. Je n'ai pas bougé. Ils ont tourné d'un mètre autour de la table. J'enveloppe d'un bras protecteur le dossier d'Ingridet lance en italien:

" Laisse tomber. Tu as le genou trop pointu.

- Et toi, tu as l'illusion d'être suivi, " me rétorque-t-il sèchement.

Maintenant il va se retirer. Avec l'excuse d'amis qui l'attendent. Mais la voici qui le retient. Quelle passion pour les cigarettes et les marins! Et il lui dicte lenuméro d'un bar où le joindre. Quand enfin il me laisse le champ libre, je n'ai qu'à allonger les doigts vers Ingrid pour caresser son épaule. Elle ne bronche pas mais tourne la tête et me plante en pleine figure son regard de nordique libérée. Alors je sors une ineptie ridicule du genre: " Vous aimez beaucoup les cigarettes. " Et elle: " Etes-vous toujours aussi éblouissant? " J'ai dû rougir un peu. J'appelle le garçon..........................

Je passai la matinée au bureau comme oiseau en cage. Mon regard balayait des listes de titres en glissade vertigineuse. Pas plus livres, films, que thèmes de conférences ne parvenaient à accrocher mon attention. Je remis ces dossiers à plus tard. Je réussis un peu mieux à me concentrer dans la préparation d'un texte pour le cours du soir que je donnais trois fois pas semaine.

A 13 h 30, je fus accosté au pied de l'immeuble consulaire par un homme brun à lunettes, 25 ans environ. Instinctivement, j'eus un mouvement de recul vers l'agent en faction. Mais la cordialité du visage m'incita à accepter la main tendue. Ce garçon s'excusait de m'aborder en pleine rue à l'heure du déjeuner; il aimait la France, proclamait son admira-tion envers la culture français. Je succombai à ses mimiques affectueuses, à sa main qui enveloppait amicalement mon épaule. Pour se faire pardonner, il m'invita à déjeuner dans un restaurant typique du vieux Palerme avec table de hors-d'oeuvre à volonté, et tout et tout...

Qu'est-ce que je risquais?

Baudelaire sur sardes salées. Céline aux olives cassées. Rimbaut sur fond délicieusement piquant de spaghetti à l'ail. On aurait cru qu'il avait soigneusement sélectionné les auteurs à propos desquels je n'avais que des platitudes à produire. Je dégustais, je laissais dire. Je réussis à placer deux ou trois considérations sur Maupassant qu'il écarta d'un revers de main. Si j'acquiesçais en connaisseur, entre deux bouchées de saucisse parfumée aux grains de fenouil, aussitôt il glissait vers d'autres sujets; si au contraire je gardais un silence révélateur d'ignorance, se bardant de suffisance, il s'arrêtait , prenait la pose, étalait lourdement les tentacules de son savoir.

Je m'étais totalement détendu: aucun témoin de mes renoncements. Je me résignais en sirotant mon amaro et attendais la suite.

Au moment de s'acquitter de l'addition, il mit sa main sur mon épaule:

" Nous sommes amis, Professore. Vous pourriez m'obliger, n'est-ce pas?

- Mais naturellement, dites, dites donc.

- Ma fiancée voudrait venir suivre des cours de français, vos cours; mais elle connaît quelques problèmes en ce moment. Ce serait une action, disons fraternelle, généreuse, si vous pouviez l'accepter en classe, fermer un oeil...

- Même deux, " lançai-je en riant, et je hélai le garçon pour les cafés.


Les derniers moments avant l'embarquement avaient couru comme l'éclair.

D'abord, en coup de vent à l'agence de voyages recommandée par le consul. Non sans avoir attendu qu'elle fût vide de clients. Le propriétaire, la quarantaine précieuse, papillonnait à la tête d'un essaim de cover-girls. Je supputai avec confiance que cette agence lui autorisait une aisance honnête.

Deux garçons à cheveux noirs se présentèrent et je commençai ostensiblement à m'intéresser aux traversées vers la Sardaigne. Ensuite je demandai un billet pour Tunis. Et celui d'Ingrid. Un homme blond entra et s'adressa en allemand à l'une des hôtesses. Je remplissais mon chèque. (Impossible qu'il pût distinguer ma destination, et vraiment je ne crois pas qu'ils auraient eu le temps matériel ni la possibilité de soustraire ma voiture à ce moment-là. Donc, j'étais déjà piégé. Je me promenais piégé.) Mon problème du moment consistait à réussir un départ discret.

Alors survint ce coup de sonnette à l'appartement...

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