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UNE ÉTRANGE AFFAIRE

Nora feuillète le journal. Entre deux pages, elle porte délicatement à ses lèvres la tasse de café servie par son jeune collègue Kévin. Il lui reste un peu de temps avant de devoir gagner son bureau. Les fenêtres, inondées d'un soleil printanier, laissent apercevoir les platanes renaissants du quai Sainte-Claire. Des pousses vertes ont jailli, qui amplifient l'éclosion des jours passés, et elle n'avait rien remarqué. Les regards sont maintenant capturés par les lignes courbes de la Cité de la musique qui se dresse devant le parc Mitterand. Elle suit les titres dans le Dauphiné, sans lire, nonchalante, se créant une illusion de loisir, comme si elle se trouvait installée à la terrasse d'un café. C'est une belle femme de type méditerranéen, encore dans la trentaine, dont les longs cheveux noirs s'enroulent en chignon, retenus par une pince. Elle préfère. Au bureau. Mais souvent, lorsqu'elle part en intervention, elle les tire en queue de cheval. Ainsi, elle se sent plus à l'aise. Forte. Virile, quasiment masculine. Même si cela devient désagréable, le soir, de s'enfermer le crâne dans un fichu pour passer chez ses parents, à la cité. Tout à coup, un titre happe son attention : « Fait divers troublant, meurtre insolite à Bourg-de-Péage ». Il s'étale en page régionale suivi d'un long article avec photo. Surprise, elle a poussé un cri. Kévin : Maabik ? Nora : Quoi ? Qu'est-ce que tu dis ? Kévin : Je te disais qu'est-ce que tu as en arabe. Nora : En arabe ? Tu connais l'arabe toi ? Kévin : Eh bien... J'ai acheté un livre... la méthode Assimil. Nora : Ah, j'ai compris ! Tu parles l'arabe littéral. Nous, on dit : Macanmat. Et pourquoi tu étudies l'arabe ? Silence du jeune lieutenant. Nora : Tu connais des Arabes à qui parler ? Kévin : Toi. Éclat de rire de Nora, pommettes rosies de Kévin. Nora : Ah, t'es trop mignon. Bon, revenons à nos moutons ! Kévin : Tu as dit Bourg-de-Péage ? Nora : Oui, chez toi. — Pas vraiment, insiste Kévin malgré un sourire impatient de sa capitaine. Mais il précise quand même qu'il habite le quartier résidentiel, un des immeubles qui s'étirent sur la rive gauche de l'Isère. Au troisième étage. L'article, au contraire, évoque une zone commerciale éloignée, située au-delà de l'axe conduisant à Valence, l'Espace Mossant.

— Cela te rassure ? demande Nora.

— D'habiter au troisième étage ? Oui, car le beau ruban ondulé bordé de platanes qui miroite aux rayons du crépuscule peut aussi se changer en monstre dévastateur.

— De quoi tu parles ?

— De la crue de l'Isère en 1856... il suffit de regarder les repères sur les immeubles.

— Je ne pensais pas à ça. Je parlais du hold-up. T'es quand même un sacré rêveur. Kévin ne réagit pas. Il a l'habitude de se faire gentiment chambrer par ses collègues, lui, le jeune lieutenant de vingt-quatre ans au visage de chérubin. À tel point qu'il doit souvent exhiber sa carte car les gens ne l'imaginent pas flic, et croient à une blague. Nora insiste, elle l'estime tout à fait capable d'écrire des poèmes. Sa façon de s'exprimer. Ses métaphores à propos du couchant sur la rivière...

— Et quand bien même cela serait, s'exclame le jeune homme, est-ce incompatible avec la profession policière ? Aucune ironie dans le propos. Nora révèle même avoir suivi une année d'études supérieures en lettres à la Fac. de Valence. Kévin veut savoir pourquoi elle a arrêté, mais les réponses deviennent évasives. Elle finit par dire que le cycle court, en lettres, ne mène à rien, et qu'étudier seule, le soir à la maison, lui a paru plus réalisable en suivant son droit par correspondance.

— Jusqu'au concours d'OPJ ? s'étonne Kévin qui s'éclaire en une mimique admirative.

— Qu'est-ce que tu crois, jeune homme, demande la capitaine en riant, qu'on n'est pas capables de trimer pour s'en sortir dans les cités ? Le commissaire Durin passe la tête à travers la porte de la salle de repos et lance : « Vous avez vu ça à Bourg-de-Péage ? Ça rappelle le mode opératoire de cette affaire non résolue sur laquelle avait travaillé la commandant Ancelin. Vous devriez prendre contact avec les gendarmes. » Le « OK patron » de Nora est suivi d'une marche rapide des deux OPJ vers leurs bureaux situés en bout de couloir. Nora classe un rapport, et au moment où elle jette à la corbeille une note de service, elle sent le regard de son subordonné à travers la cloison vitrée. Elle articule alors silencieusement les syllabes : dé - jà - lue, déclenchant une moue sceptique de l'intéressé. Lorsqu'elle saisit son téléphone, Kévin anticipe, il glisse son arme dans l'étui sous l'aisselle. Peu après, la capitaine, depuis le seuil de la porte communicante, dit : « On y va, les gendarmes sont déjà sur site ». Le lieutenant attrape son blouson de cuir clair suspendu au dossier du fauteuil et s'empare de deux ou trois bonbons qu'il déballe et fourre dans sa bouche d'un seul geste. « Excellent pour le chiffre de ton dentiste, » commente Nora. « J'ai faim », tranche le jeune homme.

— Bon, tu m'expliques ? Kévin s'installe au volant de la Clio gris métallisée du commissariat. Pas de gyro ?

— Pourquoi pas le deux-tons, tant que tu y es ? Non, nous sommes en simple visite de courtoisie. Si tu avais été moins bavard, tout à l'heure... Il y a eu un braquage, hier soir, dans un discount et cela a mal tourné.

— Et c'est déjà dans le journal?

Nora ne relève pas car, dans ce cas précis, la rapidité avec laquelle la presse a réagi lui convient. Sans cela, qui sait si elle aurait été alertée, et avec quel retard.

Ils parviennent, à l'espace Mossant, jusqu'à un bâtiment large et bas qui ne paie pas de mine. Une sorte d'entrepôt dont la façade est percée de deux doubles portes vitrées, entrée et sortie. Elles sont barrées de rubans jaunes portant l'inscription : Gendarmerie Nationale Zone interdite, tenus par des tubes fichés dans des pots en plastique qu'on croirait sortis d'un magasin de bricolage. Cela suggère une plaisanterie à Kévin, pots de peinture et combi blanches, mais Nora n'est pas d'humeur. « Moi, je trouve ça plutôt astucieux, les pots. Et puis, travailler dans une cellule d'identification criminelle, c'est plutôt classe à l'heure actuelle. Si je pouvais, je ne craindrais pas de changer avec eux. »

Les deux OPJ exhibent leur carte et passent devant le planton. À l'intérieur, entre les deux portes, une sorte de kiosque rectangulaire abrite bureaux et caisse. Une vitre est brisée. Cependant, les tenues blanches s'affairent un peu plus loin, au milieu d'une allée, entre les rangées des présentoirs de vêtements. Des fiches jaunes portant des numéros, ont été disposées sur le sol autour de l'empreinte tracée à la craie, d'un corps allongé.

 

 

 

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