D'où vient le mot " Autobiographie " ? Et quelles furent les premières autobiographies ?

Le mot est venu trop tard pour s'imposer d'emblée et absorber d'autres dénominations qui existaient avant lui et ont continué leur chemin après sa naissance. Une certaine confusion a d'ailleurs présidé à son apparition, qui s'est faite par étapes successives, avec des refus, des réticences, des hésitations.

Il semble qu'il ait d'abord été employé en Allemagne à la fin du XVIIIe siècle. " Selbst-biographie ", avec un trait d'union, s'est trouvé ensuite repris par des critiques anglais en 1797 sous la même forme : " Self-biography ". Cependant, l'allure compliquée du mot composé ne plaisait pas à tout le monde. L'association d'une racine saxonne à une composition d'origine grecque paraissait " pedantic ", adjectif assez clair pour ne pas exiger de traduction.

Pourtant, en 1809, l'un des grands poètes romantiques, Robert Southey, l'utilise dans un article, toujours avec le trait d'union. Puis, après une éclipse de 20 années, il réapparaît dans l'une des plus célèbres revues littéraires de Londres, cette fois sous la forme qu'on lui connaît aujourd'hui, avec ses trois composantes sémantiquement grecques : " auto/bio/graphy ". Pourtant, à de nombreuses reprises, le trait d'union revient sous la plume des spécialistes, jusque dans les années 60 du XIXe siècle. À vrai dire, ce signe de prétendue union témoigne plutôt des balbutiements de la typologie : H.G.Wells, en 1924, hésite encore ; dans le titre de son ouvrage se trouve bien le nom " autobiography ", mais l'adjectif reste " auto-biographical ". En France, les dénominations " mémoires [d'outre-tombe] ", " souvenirs [d'enfance et de jeunesse] ", " confessions [d'un enfant du siècle], " la vie de [Henri Brulard], etc. " ont longtemps prévalu. Il faut vraiment attendre le vingtième siècle pour que s'impose " autobiographie ", encore que certains auteurs, et non des moindres, ne font guère de différence entre les termes. Sans doute a-t-on longtemps pensé que l'autobiographie constituait un sous-genre de la biographie : en 1928, André Maurois consacrait un remarquable chapitre sur l'autobiographie, mais à l'intérieur d'un livre intitulé " Aspects de la biographie ". On sait aujourd'hui qu'il s'agit de deux genres différents : la biographie, chronique du temps mort, l'autobiographie, rivée au présent de l'être.

Les premières autobiographies sont difficiles à situer. Georges Gusdorf pense que c'est un phénomène occidental lié au christianisme. Pourtant, l'homme s'est toujours confié au burin, au stylet ou à la plume. La littérature latine, par exemple, comprend nombre d'écrits personnels, commentaires (César), lettres (Cicéron, Pline le Jeune), poèmes (Catulle), etc. Cependant, malgré de rares exceptions, en particulier, celle, ô combien importante, de Saint Augustin, ou l'attachant livre de la très catholique paroissienne anglaise Margery Kempe, dicté au curé dès 1428, l'exploration du " moi " n'est vraiment apparue qu'après la Réforme et, en particulier, à la Renaissance. La nuit de l'âme peuplée de terreurs pénitentes avait créé une culture de l'incarcération poussant à la confidence et incitant au dialogue avec Dieu et, par là, avec soi-même. Et lors de l'explosion des XV-XVIe siècles, l'émerveillement de soi donna un nouvel élan à l'expression personnelle. À l'homme renaissant, rien d'impossible : les lointains continents, le mystérieux royaume intérieur. Le " moi ", c'était aussi " l'Amérique " !